Musique classique

Un grand cru

d'Lëtzebuerger Land du 24.01.2020

Écouter le violoniste Renaud Capuçon dans le Concerto pour violon de Beethoven, concertare (de l’italien, dialoguer) avec le Filarmonica della Scala sous la direction de Riccardo Chailly est l’une des expériences les plus attendues de la saison musicale luxembourgeoise. D’une part, car Renaud Capuçon, originaire de Savoie (entré à quatre ans au Conservatoire de Chambéry et à quatorze ans au Conservatoire de Paris, dans la classe de Gérard Poulet), atteint aujourd’hui un point culminant de sa carrière de soliste, en interprétant le chef d’œuvre du répertoire violonistique avec les plus grands orchestres internationaux, sous la direction des chefs les plus émérites.

Et d’autre part, car le Concerto pour violon est devenu depuis sa création le 23 décembre 1806, par le violoniste allemand Fr. Klement à Vienne, un véritable Everest pour les violonistes les plus aguerris. Son unique Concerto pour violon (parmi cinq concertos pour piano), Beethoven le compose, comme à son habitude, simultanément avec d’autres œuvres : les Quatuors op. 59 et la Quatrième symphonie. Cette interactivité des styles d’écriture transparaît dans le Concerto, écrit pour un violoniste soliste dans un écrin orchestral qui pourrait presque être une symphonie autonome.

C’est justement la qualité de cette écriture orchestrale presque symphonique et l’intensité de la partie de violon solo conçue moins pour être virtuose que pour s’intégrer dans cet écrin, qui constituent le suc de ce concerto. S’il mit des décennies à s’imposer – notamment grâce à Joseph Joachim (1831-1907) qui en fit l’un des concertos les plus populaires du répertoire, il reste peu virtuose et valorisant pour le soliste hors cette exceptionnelle qualité de dialogue sonore avec l’orchestre. Car Beethoven, bien qu’ayant sans doute à l’esprit les modèles techniques violonistiques de concertos contemporains d’un Pierre Rode (auteur de treize concertos pour violon) ou d’un Rodolphe Kreutzer (auteur de 19 concertos pour violon), a créé avant tout un nouveau modèle du genre, associant le style symphonique à une virtuosité conçue pour repenser leur relation sonore.

« Violoniste détestable » selon Hector Berlioz, « sans être pour cela un moins prodigieux compositeur », le maître de Bonn requiert de son violoniste soliste des intensités, des fulgurances, des altitudes et des ascensions, des bizarreries enharmoniques révolutionnant autant le jeu du violon que notre façon d’entendre. Par l’attaque, l’élan et les échappées dans la tessiture raréfiée, le quasi-chanter du violon, le génial Beethoven dérange. Côté orchestre, il recherche un nouvel espace sonore, en confiant d’entrée de jeu une place structurelle aux timbales. De Mozart, il retient les échanges élégants entre le violon et les cors, clarinettes et bassons. S’il maintient la forme classique du concerto en trois mouvements – deux mouvements plus rapides encadrant un mouvement lent, larghetto aérien – Beethoven, touché par la surdité, conçoit avec son oreille interne, un orchestre conciliateur, au sein duquel le violon se fond.

Dès lors, la personnalité du soliste, la qualité de l’orchestre et l’entente avec le chef d’orchestre sont cruciaux pour que le dialogue agisse. Comment le soliste commente-t-il les thèmes de l’orchestre tout en imposant sa propre vision de l’œuvre ? La question est toujours brûlante d’actualité après plus de 250 enregistrements, dont une trentaine par le violoniste Yehudi Menuhin et le chef David Oïstrakh.

Renaud Capuçon en a livré une première réponse avec son premier enregistrement du concerto en 2009 avec l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam et Daniel Harding (avec lequel il interprétait l’an dernier ce même concerto à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre de Paris). On est curieux de ce nouveau cru avec le Filarmonica della Scala et Riccardo Chailly. D’autant plus curieux qu’outre leurs accointances communes avec Abbado (Chailly a été l’assistant d’Abbado dès ses vingt ans à la Scala et Renaud Capuçon a débuté comme Premier violon à l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler également sous la direction de Claudio Abbado), Riccardo Chailly est connu pour ses strictes interprétations des tempi indiqués par Beethoven, induisant des mouvements vifs à couper le souffle.

Outre l’exceptionnel violoniste qu’est Renaud Capuçon, et sa qualité d’écoute (chambriste passionné, le plaisir de jouer ensemble est pour lui un art de vivre), l’intégrale de symphonies de Beethoven enregistrée par Riccardo Chailly avec le Gewandhaus de Leipzig nous laissent présager l’un des meilleurs crus.

Filarmonica della Scala, Riccardo Chailly, Renaud Capuçon: Concerto pour violon de Ludwig van Beethoven, samedi 25 janvier à 20 heures à la Philharmonie Luxembourg. Informations et tickets : philharmonie.lu.

Dominique Moons-Escande
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