Cela fait donc dix ans que la galerie, Ceysson au départ, Ceysson & Bénétière après, est établie à Luxembourg, qui est ainsi venu prendre la suite d’autres lieux, Paris, Saint-Étienne, Genève, se positionnant même face à New York. Pour Bernard Ceysson, le séjour grand-ducal est bien plus long ; il faut remonter plus loin, à la préfiguration d’un musée d’art moderne, où il avait été fait appel au Stéphanois, pour son expérience acquise dans sa ville natale, voire au musée national au Centre Pompidou à Paris.
Après les tribulations du Kirchberg, l’installation dans la vieille ville, la galerie ouverte dans une maison rénovée au Marché-aux-Poissons, ont dû s’avérer plus calmes ; l’aventure personnelle non moins passionnante, et l’élan conduisit très vite, la génération plus jeune aidant, au départ pour le Wandhaff, avec des espaces d’une tout autre ampleur, des étendues proprement muséales, et l’endroit idoine à des expositions d’envergure. Et aujourd’hui, de quoi y célébrer, avec une bonne trentaine d’artistes, l’accomplissement d’une décennie d’engagement éclectique, rien qu’une étape, cependant.
Malgré l’aspect hétéroclite, inévitable, de pareille exposition, un avantage peut-être aussi, il est donné au visiteur bon nombre de points de vue sur l’art qui se fait actuellement, peintures, sculptures, et la grande majorité des œuvres sont toutes récentes, datant de guère plus de deux ans. Le lieu, faut-il le répéter, permet un accrochage, une disposition des plus aérés, de sorte que s’il peut y avoir rencontre, voire dialogue, il n’est pas interdit non plus au regard d’isoler telle partie, de s’attarder à tel artiste. Et puis, sans doute une part importante, l’exposition est comme le dépliement d’un programme, des orientations, certes larges, sans la moindre volonté dogmatique, s’y manifestent.
Ainsi, ils sont tous présents, exemple de fidélité, les Viallat, Cane, Dolla, Saytour, compagnons de route de Bernard Ceysson, il leur a consacré déjà des expositions personnelles. Elles sont là, les imposantes bâches militaires de Claude Viallat, jusqu’à cinq mètres de largeur, avec leur alignement de la forme archétypale de l’artiste. Et en contrepartie, si l’on ose dire, les toiles découpées de Patrick Saytour. Ou de format plus réduit, les peintures sur contreplaqué de Pierre Buraglio, comme des parties de peinture arrachées à des murs, celui par exemple du Père Lachaise, où 147 combattants de la Commune furent fusillés, jetés dans une fosse ouverte ; une autre peinture rend hommage à Mehdi Ben Barka.
À chacun de faire son tout au Wandhaff. Et l’on se rappelle que la galerie, pour Matières, matériaux, textures (Foetz, 2016) n’hésite pas s’il le faut à s’expatrier ; là, au Wandhaff, la sculpture est bien présente pourtant, notamment avec Pagès, avec Rückriem, et c’est à travers les circonvolutions, les enroulements de Bernar Venet que le visiteur a le coup d’œil sur une toile récente de Robert Brandy, solidement charpentée, au coloris, aux coulures qu’on aime à retrouver. Côté luxembourgeois, voici le panorama canin de Dany Prüm, et les objets fixés au mur, bois, métal, coton, agencés et coloriés tout ludiquement, de Roland Quetsch, avec un tableau, de dimension plus grande, d’une tout autre rigueur noire et blanche.
L’art dans tous ses états, à (re)voir. La peinture surtout, allant des portraits d’inspiration classique et de facture contemporaine d’Anthony Vérot, aux scènes de l’Américain Alexander Nolan, avec leur caractère un peu kitsch, repris ou racheté par la part d’humour. Avec Feed the meter, la galerie s’était naguère largement ouverte à la jeune scène américaine, on en retrouve tels représentants. C’est attrayant, plus spectaculaire. Au fond de la galerie, dans un coin, plus sobrement, plus discrètement, des assemblages de bois et de carton, où en y regardant de près, probablement qu’on reconnaît des instruments de musique, plus précisément des guitares (issues d’œuvres de Picasso). Au mur, des dessins, ils sont faits au stylo bille noir, ces stylos, on les a vus, pareils à des piliers frêles des sculptures. Rémy Jacquier, et avec cet artiste on retourne à Saint-Étienne où il a étudié, il enseigne aujourd’hui à Nantes, aime à aller de la sculpture, voire de l’architecture, au dessin, pour des déplacements qui s’inscrivent sur la feuille, dans des mouvements dont on attend que du désordre sorte une espèce de cosmos (invitons la galerie à nous offrir une performance de Jacquier dans ce sens). Image peut-être qui peut servir en conclusion à caractériser l’exposition ; dans sa diversité, ses oppositions, elle dit avec force une recherche constante, il y va toujours d’une beauté indéniable de la forme.