En janvier, les tensions qui s’étaient accumulées entre Google et le gouvernement chinois avaient débouché sur l’annonce surprenante du géant de l’Internet qu’il allait cesser de censurer ses résultats de recherche en Chine. La bataille ainsi annoncée a commencé dans les faits cette semaine quand Google a commencé à rediriger les requêtes adressées à google.cn vers google.hk.cn, son site de Hong Kong, un site non censuré. C’est une gigantesque et décisive partie qui commence donc à se jouer sous nos yeux et dont l’enjeu le plus passionnant sera de mesurer à quel point les autorités chinoises seront en mesure de continuer de contrôler l’accès par le Net aux contenus politiques jugés sensibles.
Alors que les premières indications venues de Chine suggéraient qu’après la redirection les internautes chinois avaient accès aux liens non censurés de Google Hong Kong, la situation a rapidement changé après que les fonctionnaires chinois ont repris la main. Désormais, les 400 millions d’internautes chinois ont certes accès à Google Hong Kong, mais c’est le firewall officiel chinois, dit « Great Firewall », qui se charge de neutraliser les liens que Pékin juge problématiques. Simultanément, le gouvernement chinois a réagi avec force, reprochant à Google de « violer les promesses écrites qu’il a faites lorsqu’il est entré sur le marché chinois en cessant de filtrer son ser-vice de recherche et en insinuant que c’est la Chine qui s’est rendue coupable d’attaques supposées de la part de hackers ». Au vu du pro-cès dont font l’objet à Shanghai des cadres du géant minier Rio Tinto, accusés de corruption alors que, selon les hommes d’affaires actifs en Chine, leurs activités étaient en tout point conformes aux pratiques locales, les dirigeants de Google Chine doivent sans doute aussi se faire des soucis : Pékin pourrait fort bien, suivant cette logique qui consiste à ajouter une dimension pénale à un différend internatio-nal, faire valoir qu’ils ont délibérément violé la législation locale et les poursuivre en justice.
Google espère maintenir ses activités autres que son moteur de recherche en Chine, par exemple dans le domaine de la téléphonie mobile. Mais le New York Times a cité un expert sceptique quant à la validité de cette stratégie. « Je ne comprends pas leur calcul », a dit J. Stapleton Roy, directeur du Kissinger Institute qui couvre la China et États-Unis au Woodrow Wilson International Center for Scholars et ancien ambassadeur américain en Chine. « Je ne vois pas comment Google a pu arriver à la conclusion qu’ils pourraient l’emporter contre les Chinois sur une affaire domestique de censure ».
De son côté, Google ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur la tactique utilisée pour essayer de circonvenir la censure chinoise. Son juriste David Drummond a reconnu sur son blog que la société s’attendait à ce que « l’accès à ses services pourrait être bloqué à tout moment ».
En toute logique, les avancées de Google en Chine vont à présent être freinées sur les autres fronts. Selon les premières indications, ses accords avec China Mobile et China Unicom, des opérateurs de téléphonie mobile qui se préparaient à collaborer avec Google pour offrir ses services sur les portables de leurs abonnés, sont menacés suite au bras de fer en cours. David Drummond, le juriste en chef de Google, n’a pas écarté de telles conséquences. En même temps, il a déclaré au New York Times que « sur le long terme, Google va profiter d’assumer cette position de principe en Chine et ailleurs » et qu’« il est bon pour nos affaires de promouvoir la liberté d’expression ».
En dépit de ce ton mesuré, il est clair que Google a choisi de continuer de défier les autorités et la censure chinoises. Les inter-nautes chinois ne doivent pas pouvoir consulter les résultats de recherche de Google sur le massacre de la place Tienanmen, c’est, du point de vue des autorités de Pékin, un point non négociable. Elles vont sans doute marquer des points dans l’immédiat en verrouillant le Net chez eux. Mais si la guerre entre Google et Pékin s’envenime et qu’elle a pour conséquence ultime de priver les internautes et utilisateurs de téléphones portables chinois de tout ou partie des services de Google, ceux-ci seront les premiers pénalisés.