Pour un juriste, l'appel lancé mercredi à la Chambre des députés par le ministre de la Justice Luc Frieden (PCS) aux organisations non-gouvernementales (ONG) semble paradoxal. Pour un ministre qui, en plus, revendique la paternité du Tribunal administratif, cela l'est doublement. Dans son discours introductif au débat d'actualité sur la politique d'asile du Luxembourg, il supplia les ONGs d'aide aux réfugiés de ne pas encourager les demandeurs d'asile de faire appel lorsqu'ils sont déboutés par le ministre. « Vous leur faites de faux espoirs qu'ils pourraient rester au Luxembourg et prolongez inutilement les procédures, » leur lança-t-il à deux reprises. Que ces nombreuses demandes ne feraient qu'encombrer les tribunaux déjà surchargés, et que de toute façon, « un vrai réfugié ne veut de toute façon qu'une chose : rentrer chez lui ».
Le 15 février prochain, les réfugiés albanais seront donc mis à la porte - pardon, reconduits - et le gouvernement invite tous les réfugiés du Kosovo à rentrer chez eux après le plus dur de l'hiver, soit vers mars 2000. Ce qui veut dire en un premier temps que les autorisations d'occupation temporaire pour les demandeurs d'asile et déboutés ayant trouvé un emploi, qui expirent le 15 décembre, ne seront reconduites que pour une durée de trois mois, six mois au grand maximum, expliqua le ministre de la Justice en l'absence de celui du Travail, François Biltgen (PCS). Quelque 250 personnes seraient actuellement dans cette situation. Le gouvernement ne fixera sa ligne définitive que lors de l'une des prochaines réunions du conseil.
Le débat d'actualité de mercredi était organisé à la demande du PCS et attira aussi sec l'ire du député socialiste Ben Fayot, qui fit remarquer que, contrairement au règlement interne du parlement, les députés ne disposaient pas d'une déclaration écrite du gouvernement, mais seulement d'une intervention orale du ministre de la Justice - et donc n'avaient ni l'occasion ni le temps de préparer leurs discours. « C'est vrai que nous ne respectons jamais le règlement interne, » remarqua le président de la Chambre Jean Spautz en riant (hilarité générale). Ben Fayot avait raison, la plupart des discours prononcés n'étaient qu'un exercice imposé, très vagues et très généraux, pleins des meilleures intentions. Il est vrai qu'un débat d'actualité est un bon alibi pour éviter le débat d'orientation, beaucoup plus long et plus profond.
Car, en plus de donner quelques chiffres plus ou moins connus - 4 500 demandeurs d'asile en deux ans (1998 et 1999), dont 48 ont eu droit au statut de réfugié selon la Convention de Genève en 1998, cette année, ils n'étaient que deux sur 207 décisions prises par le ministre de la Justice, la moyenne se situant entre trois et cinq pour cent - Luc Frieden expliqua surtout l'approche du gouvernement telle que définie dans le nouveau projet de loi portant réforme de la procédure de demande d'asile (loi du 3 avril 1996). Le 11 mai dernier, le Conseil d'État avait exprimé trois oppositions formelles contre le premier projet de réforme (n° 4572, voir d'Land 20/99) et la Chambre des députés l'avait retiré du rôle.
Fort des conclusions du Conseil européen de Tampere, le gouvernement - qui veut « combiner générosité et fermeté » dans son approche, selon la formulation de Luc Frieden - propose une nouvelle fois l'introduction d'un statut de protection temporaire aux réfugiés venant d'une zone de crise. Cette fois, la formulation serait tenue très générale, pouvant donc s'appliquer aux réfugiés de toutes les zones de guerre ou en crise, car en mai, le Conseil d'État avait accusé le racisme d'un statut exclusivement réservé aux « Albanais du Kosovo ».
En plus, et afin d'accélérer les procédures, la Commission consultative, qui assistait jusqu'à présent le ministre dans sa décision d'accorder ou de refuser le statut de Genève, sera abolie. Le ministre sera donc seul responsable, et souligna plusieurs fois qu'il prenait toutes ses décisions en bonne âme et conscience et que donc il fallait que les déboutés mécontents arrêtent d'encombrer les tribunaux.
Pourtant, l'espoir fait vivre, et si la majorité des procès en réformation ne font que confirmer la décision du ministre, chacun espère légitimement qu'il sera parmi les rares qui gagnent - et, pourquoi pas, même faire jurisprudence. Ce sont là les principes mêmes d'un État de droit. Lydie Err (POSL), juriste elle aussi, mit en tout cas un bémol à cette responsabilité unique et individuelle du ministre, Ben Fayot se demanda pourquoi on n'engageait pas une commission consultative à plein temps - actuellement, ses membres ne peuvent se voir que le soir, après leur travail régulier.
Pour tous les déboutés sans papiers qui ne peuvent rentrer chez eux en temps de crise, le gouvernement créera un « statut de tolérance » (« Duldung » en allemand), leur garantissant la protection du Luxembourg. Dans les conclusions de Tampere, cela s'appelle « principe de non-refoulement » (art 13.) : « nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d'être persécuté ». C'est une des facettes de ce que Luc Frieden appellerait « générosité ». Tout comme cette autre générosité, financière celle-là, qui doit permettre à ceux qui rentrent de reconstruire leur vie ou au moins leur maison.
Tout le reste de l'approche actuelle est surtout de la fermeté : « le gouvernement a décidé que tous ceux qui ont été déboutés du statut de Genève doivent maintenant rentrer chez eux » souligna Luc Frieden à plusieurs reprises mercredi. Seuls 140 personnes l'ont fait jusqu'à maintenant, 28 suivront dans les prochains jours et 14 autres avant la fin de l'année.
Dans un entretien radiophonique, mercredi matin sur RTL Radio Lëtzebuerg, le député Laurent Mosar (PCS) se fit doubler à droite par le speaker Guy Kaiser. Il faut le faire, parce qu'il n'y a pas beaucoup de place à droite de Laurent Mosar. Kaiser pourtant a réussi, tirant des relations causales douteuses, entre une supposée criminalité (sans bien sûr pouvoir prouver ses affirmations par des chiffres) et le nombre de réfugiés. Ce fut alors Laurent Mosar qui dut assurer qu'il n'en était rien, que ces hypothèses étaient dangereuses et qu'il fallait traiter le problème avec humanité. Supposant que cet entretien n'était qu'un indicateur du populisme ambiant, il est normal que le gouvernement et Luc Frieden considèrent leur approche comme « généreuse ». Et pourtant, un juriste ne devrait-il pas faire abstraction de l'ambiance de la rue ?