« Asylum Shopping ». Le mot est lourd de connotations aberrantes, faisant des demandeurs d'asile des usurpateurs oisifs qui chercheraient l'endroit le plus attractif pour faire une petite halte dans un voyage de plaisance à travers l'Europe. Inventé exprès pour l'occasion, il aura marqué tout le débat de préparation du Sommet européen de Tampere, Finlande, le week-end dernier, où les chefs d'État et de gouvernement discutaient de la suite de l'intégration européenne, en application du traité d'Amsterdam : après la zone euro, voilà une zone «de liberté, de sécurité et de justice», appelée « l'Europe citoyenne ».
Le « shopping d'asile » serait un des abus de la situation actuelle, avec quinze politiques différentes en matière d'accueil des réfugiés et d'immigration, estimait également le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker (PCS) avant son départ à Tampere : « Wir streben ferner einen einheitlichen Flüchtlingsstatus in Gesamteuropa an, und zwar um zu verhindern, dass das 'Asyl-Shopping' weitergeht, bei dem sich Flüchtlinge und Asylbewerber sehr genau ausrechnen können, wo der Status für sie günstiger ist » (LW 14.10.99).
Au Luxembourg, en plus d'être logés, les demandeurs d'asile recevaient habituellement 11 000 francs par mois pour se nourrir de l'État. Aujourd'hui, ils n'ont plus que 2 000 francs d'argent de poche par mois et sont obligés d'aller aux soupes populaires, c'est-à-dire de manger un menu imposé qui ne correspond forcément pas toujours à leurs habitudes, à leur culture et à leurs envies. Le logement se fait dans les conditions qu'on connaît, certes pas à la rue, mais quand même dans des maisons collectives avec peu de vie privée - 220 personnes à Weilerbach, quelque 80 au Müllerthal, home Don Bosco, Esch-sur-Alzette et autres pensions familiales. Non qu'ils s'en plaignent. « Mais on ne peut pas appeler cela un pays extrêmement attractif » s'offusque Serge Kollwelter de l'Asti. L'Association de soutien aux travailleurs immigrés assure le secrétariat 99/00 du Collectif réfugiés, qui regroupe seize organisations privées engagées, et qui vient de présenter le programme de sensibilisation de la semaine des réfugiés débutant lundi.
Même si le ministère de la Famille en charge et son Commissariat aux étrangers ont effectivement fait d'énormes efforts pour accueillir et loger tous les réfugiés en fuite des régions de guerre du Kosovo cette année, et que le ministère de l'Éducation nationale fait du sien pour scolariser les enfants, les lourdeurs administratives leur compliquent néanmoins le vie au quotidien. En fait, ils sont condamnés à passer leurs journées à attendre.
Quelques chiffres : l'année dernière, 893 dossiers de demande d'asile comprenant 1 709 personnes ont été introduits, seules 48 personnes ont bénéficié du statut de réfugié selon la convention de Genève. De janvier à juillet de cette année, 1 178 dossiers comprenant 2 534 personnes ont été introduits, ils restent sans réponse jusqu'à ce jour. En moyenne, une telle procédure dure deux ans, constate Serge Kollwelter. La majorité des réfugiés actuellement au Luxembourg sont des musulmans du Sandjak. Il reste vrai aussi que le Grand-Duché demeure un des pays les plus accueillants d'Europe, avec une moyenne d'un demandeur d'asile par 250 habitants, derrière la Suisse (170), et avant les Pays-Bas (340) et la Belgique (460), et surtout largement devant la France (2 670) ou le Portugal (29 740 ! - moyenne européenne : 1 310, source : UNHCR).
Agnès Rausch (Caritas) résume les raisons qu'ont les réfugiés de choisir un pays plutôt qu'un autre : Selon une étude de l'Institut de sociologie juridique de Nijmegen (NL ; 1997), ces choix ne se font pas de manière rationnelle, tabelles de rentabilité d'un pays ou d'un autre à la main, mais les raisons sont plutôt familiales - présence d'un proche au Luxembourg - ou de la faisabilité : proximité relative du pays, mais aussi perspectives de pouvoir s'intégrer dans le société. Agnès Rausch constate aussi que les restrictions des pays voisins ont tendance à dévier les demandeurs d'asile e. a. vers le Luxembourg.
Après le sommet de Tampere, l'enthousiasme des chefs d'États fut mitigée. Y compris celui de Jean-Claude Juncker, qui regrette que les formulations de la Conclusion adoptée soient trop vagues (voir document ci-contre) et qu'on ne se soit pas fixé de plan d'action et de calendrier plus concrets. Pourtant, les quinze ont non seulement décidé une meilleure coordination en matière de sécurité - collaboration Europol à développer, création d'une académie européenne de police, instauration d'Eurojust, une unité regroupant des procureurs, magistrats et officiers de police détachés par chaque pays en vue de la lutte contre les formes graves de criminalité, etc. - mais aussi réitéré leur attachement à la Convention de Genève (datant de 1951). Ils en demandent l'application intégrale et globale de la dans la mise en place d'un régime d'asile européen commun. Le Haut commissariat aux réfugiés de l'Onu constata amèrement avant le Sommet que la Convention de Genève n'est plus guère appliquée, que les procédures ont trop souvent été révisées dans différents sens, selon les pays.
En plus, suite à Tampere et d'ici 2004 devront être élaborés un régime unique de contrôle des frontières extérieures de l'Union, une procédure commune d'asile ainsi que des normes minimales sur la reconnaissance et le contenu du statut de réfugié. Agnès Rausch affirme par exemple que ces derniers mois, 90 pour cent des Albanais du Kosovo se voyaient octroyer le statut de Genève en Angleterre, alors qu'au Luxembourg, aucun d'eux n'y a encore accédé. Apparemment, le gouvernement est actuellement en train de vérifier si la situation au Kosovo s'est calmée au point de pouvoir justifier un rapatriement - les ministres européens des affaires intérieures en ont arrêté le principe il y a quinze jours. Or «aucun des ministres n'est dans la peau d'un réfugié», regrette Agnès Rausch, qui craint pour leur sécurité lors d'un éventuel retour.
Le week-end dernier à Tampere, le Conseil européen des réfugiés (Ecre) avait organisé une contre-manifestation, un sommet parallèle d'ONGs européennes travaillant avec les demandeurs d'asile et les réfugiés. Car on y craignait la création de la « forteresse Europe », un espace européen surprotégé qui bannirait toute immigration de pays tiers. D'où le soulagement samedi soir, au vu des déclarations d'intention des quinze de vouloir combattre l'immigration clandestine, mais aussi de simplifier les procédures pour l'immigration légale. Agnès Rausch, qui avait participé à ce contre-sommet, reste pourtant sceptique : pour elle, les réseaux de passeurs actuels sont souvent la seule chance que peuvent avoir les persécutés pour fuir, criminaliser ceux qui sont prêt à payer pour se sauver serait une erreur.
En plus, l'Ecre craint que « the European Council may seek the lowest common denominator and transpose existing common positions developed over the last decade into EU instruments ». Car si les demandeurs d'asile ont, durant leur procédure de demande, des droits et des conditions de vie identiques partout en Europe, encore faut-il que ces conditions permettent de vivre décemment. Une fois le statut accepté, le réfugié a d'office les mêmes droits que les ressortissants du pays d'accueil.
À Tampere, le conseil des ministres à également réitéré les principes de base quant à l'intégration des ressortissants de pays tiers : « Le statut juridique des ressortissants de pays tiers devrait être rapproché de celui des ressortissants des États membres. Une personne résidant légalement dans un État membre pendant une période à déterminer et titulaire d'un permis de séjour de longue durée devrait se voir octroyer dans cet État membre un ensemble de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont jouissent les citoyens de l'Union européenne, par exemple le droit de résider, d'étudier, de travailler à titre de salarié ou d'indépendant, ainsi que l'application du principe de non-discrimination par rapport aux citoyens de l'État de résidence. »
Au Luxembourg, la commission juridique de la Chambre des députés doit prochainement retravailler le projet de réforme de la procédure du statut de Genève ainsi que la mise en place d'un statut complémentaire - communément appelé «humanitaire». Les travaux avaient été interrompus après l'opposition formelle du Conseil d'État, au printemps dernier (voir LL 20/99). Le Collectif réfugiés demande à être au moins consulté avant l'élaboration des amendements.
En plus, les permis de travail provisoires accordés par règlement grand-ducal le 28 avril dernier viendront à échéance le 15 décembre et leur reconduction éventuelle n'a pas encore été discutée. Pour cela, l'Asti va prendre contact avec le ministre du Travail et de l'Emploi François Biltgen (PCS).