Le ministre l’a appelé fin 2007. Le psychologue Fari Khabirpour était alors directeur du CPOS (Centre de psychologie et d’orientation scolaire) rattaché au ministère de l’Éducation nationale. Or, le ministre au téléphone n’appelait pas de la rue Aldringen. adresse du Men, mais du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration. Nicolas Schmit (LSAP) lui demanda de « donner une orientation humaniste » au futur Centre de rétention. En effet, lors du vote sur le projet de loi pour la construction du bâtiment – dont le principe fut pourtant unanimement salué, la construction d’un tel centre ayant été une revendication de longue date des associations de soutien aux immigrés nationales et des organismes internationaux –, en juillet de la même année, les Verts et l’indépendant Aly Jaerling s’étaient abstenus. En cause : les députés ainsi que les conseillers d’État avaient fustigé l’absence d’un concept pour l’exploitation d’un tel centre, un engagement clair et écrit quant à la manière dont les retenus y seraient encadrés à l’avenir. Tous demandaient qu’un tel texte leur soit soumis dans les meilleurs délais.
Plus d’un an plus tard, et malgré l’accord trouvé avec la commune de Sandweiler qui accueillera le centre sur son territoire, la construction du bâtiment n’a toujours pas été entamée. Cet été 2008, Fari Khabirpour, désormais chargé de direction du Centre de rétention a, après plusieurs visites de structures similaires à l’étranger, notamment dans les pays scandinaves et en Suisse, rencontré les responsables de la construction, proposant de petites adaptations du programme architectural. Elles furent acceptées par les deux ministres, des Travaux publics et de l’Immigration, comme elles n’ont aucune incidence sur le coût adopté par le Parlement (11,2 millions d’euros). Et pourtant, ce sont des changements essentiels : quelques chambres individuelles (il en reste 87 sur une centaine initialement prévues) font place à des salles communes, pour organiser des réunions, des activités socioculturelles, éducatives, voire spirituelles... Fari Khabirpour veut s’éloigner le plus possible de la conception d’un centre où tout se limite à une insupportable attente d’une expulsion et donner aux retenus le sentiment qu’ils sont (presque) libres – mais dans un monde restreint.
Car voilà, les retenus ne sont pas des criminels. « Leur seul délit est administratif, souligne le directeur, mais à part cela, nous considérons ceux qui viennent chez nous comme des gens tout à fait normaux. » Deux sortes de personnes seront en principe placées dans ce centre de rétention : d’une part les immigrés en situation irrégulière, les sans-papiers, et d’autre part, les demandeurs d’asile en fin de droits, déboutés de leur demande. Elles le sont en attente de leur expulsion vers leur pays d’origine ou de provenance, le temps que le ministère organise les formalités et papiers nécessaires pour ce retour. La nouvelle loi sur l’immigration du 29 août 2008 fixe la durée maximale du placement en rétention à trois mois (article 120), durée que le ministre pourra pourtant prolonger à trois reprises de chaque fois un mois – ce qui porte la durée totale à six mois. C’est énorme.
Avec cette durée maximale, le Luxembourg anticipe déjà l’adoption de la très contestée « directive retour » de la Commission européenne, appelée « directive de la honte », entre autres parce qu’elle instaure le principe général d’un enfermement de six mois, qui pourra même être porté à 18 mois... Le Cimade1 français, organisme œcuménique de défense des demandeurs d’asile, s’alarme de voir s’instaurer une « industrialisation de la rétention » au niveau européen, et craint de voir les gouvernements détourner les centres de rétention pour y placer tous les demandeurs d’asile durant toute la durée de leur demande. En France, le nombre de places en centre de rétention a explosé en quatre ans, de 300 à 1 800 places entre 2003 et 2007 pour un nombre total de 35 000 retenus étant passés l’année dernière par ces centres. Les retenus y restent pour une durée maximale de 32 jours seulement, avec une moyenne de treize jours, ce qui représente déjà une grande souffrance pour les personnes concernées, constate le Cimade.
Au Luxembourg, les retenus sont actuellement placés au bloc P2 de la prison de Schrassig – donc dans le même bâtiment que des détenus de droit commun, condamnés pour un délit. Ils étaient quelque 500 personnes à y avoir attendu leur retour forcé en 2005 – et le 30 janvier 2006, une personne y est morte asphyxiée lors d’une mutinerie de retenus qui protestaient contre leurs conditions de détention en mettant le feu à leurs matelas. Cet épisode tragique allait accélérer le cours des choses et aboutir au dépôt tant attendu du projet de loi sur la construction du Centre de rétention, déjà promis dans le programme gouvernemental de 2004 (d’Land, 26 janvier 2007).
Aujourd’hui, Fari Khabirpour se veut rassurant, garant d’un traitement digne et humain des personnes en attente. Le projet de loi « portant création et organisation du Centre de rétention », que le gouvernement a adopté en conseil le 26 septembre, dit dans son article premier : « Le Centre de rétention est un établissement fermé chargé d’accueillir et d’héberger dans le respect de la dignité humaine les personnes faisant l’objet d’une mesure de placement (...) et, le cas échéant, de les préparer à leur éloignement vers leur pays d’origine ou leur pays de provenance en les faisant bénéficier, au besoin et selon les circonstances, d’un encadrement psychosocial individuel assuré par le personnel du Centre spécialement formé à cet effet. »
Pour encadrer les retenus, le projet de loi prévoit le recrutement d’un personnel extrêmement diversifié, aussi bien en ce qui concerne son statut que sa formation – personnel médical, psychologues, pédagogues, sociologues, voire ingénieurs, moniteurs, éducateurs, assistants sociaux – , et leur origine. Fari Khabirpour cite l’exemple du centre de rétention de Genève, dont le directeur embauche non seulement des immigrés afin de profiter de leurs connaissances culturelles et linguistiques, mais aussi préférentiellement des gens qui ont connu, à un moment ou un autre de leur vie, une période d’extrême déstabilisation, ce qui agrandirait leur compréhension, voire leur empathie pour les personnes retenues. Une trentaine de personnes serait à embaucher à terme au Luxembourg, mais cela se ferait dans la durée, le Centre commençant déjà son travail psychosocial cette année, au plus tard en début de l’année prochaine, alors à Schrassig. Le centre du Findel devrait pouvoir être prêt fin 2009 ou début 2010. Dès cette année, le budget d’État prévoit un poste de 175 000 euros pour le Centre de rétention ; la fiche financière du projet de loi estime les frais courants à quelque cinq millions d’euros annuels.
Si une partie sera plus sécurisée, pour le cas où des délinquants en attente d’expulsion devaient être placés dans le centre, et si toutes les mesures de sécurité à l’entrée et à la sortie de la structure ressemblent quand même à une prison, le reste de l’infrastructure se veut le plus libre possible : les retenus pourront y circuler comme ils veulent, recevoir de la visite, envoyer et recevoir du courrier, accéder au téléphone, au fax et à Internet. Ils ne pourront être « soumis à aucune obligation de travail » (article 12), mais auront la possibilité d’effectuer de menus travaux comme la lessive ou le nettoyage, s’ils le désirent, contre payement de cinq euros par heure maximum. Ils recevront trois repas par jour, qui seront fournis par une entreprise externe, et recevront une sorte d’argent de poche de dix euros par jour maximum. Les activités offertes visent toutes à, d’une part, rassurer les retenus, répondre à leurs questions sur ce qui leur arrive et quelle sera la suite, et de l’autre à les former, encourager leur créativité, les aider à passer les longues journées d’attente.
Le directeur pourra prononcer des sanctions disciplinaires à l’égard d’un retenu, qui vont de l’avertissement, en passant par l’exclusion de l’argent de poche quotidien jusqu’à, dans les cas extrêmes, le placement en isolement, durant lequel tout contact avec le monde extérieur sera interdit. Cette mesure ne peut être prolongée au-delà de cinq jours. Le projet de loi interdit formellement au personnel, sous peine de mesures disciplinaires, « de se livrer sur les détenus à des actes de violence, des actes de torture ou à des actes constitutifs de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants » (article 24).
Ce texte ne prévoit aucune durée maximale de placement pour les adultes, renvoyant pour ces chapitres aux lois sur, respectivement, l’immigration ou l’asile, mais souligne, dans son article 6.2 que les enfants et les familles avec mineurs ne peuvent être placés plus de 72 heures dans un tel centre.
Le Centre de rétention sera extrêmement difficile à organiser au jour le jour, parce que la population risque de changer assez rapidement, pouvant compter une vingtaine de retenus un jour, puis être complet, avec presque 90 personnes le lendemain. Selon la police, les retenus seraient aujourd’hui souvent laissés en liberté, faute de place, mais le centre pourrait être souvent plein. Pour Fari Khabirpour, une moyenne d’un mois de placement dans le Centre de rétention serait une durée acceptable, aussi pour que le travail psychosocial ait une chance de porter ses fruits. Il espère même pouvoir convaincre des personnes qui ont refusé un retour volontaire après être déboutés du statut de réfugié, de changer d’avis afin que cet éloignement se passe dans des conditions moins traumatisantes qu’avec une escorte de police. Le texte du projet de loi toutefois ne dit pas si un tel changement d’attitude, et donc l’acceptation d’un retour volontaire au cours du placement en rétention, rouvrira le droit à l’aide de 1 200 euros que reçoivent actuellement les demandeurs d’asile déboutés qui profitent de cette offre dès la première missive.
Or, à la fin, malgré toute la meilleure volonté du monde de garantir les conditions les plus dignes possibles aux retenus, malgré l’affirmation du directeur que « nous voulons la restriction la moins grande possible de leurs droits », il demeure que la plus grande « restriction des droits » des retenus est le fait d’être privés de liberté. La déclaration universelle des droits de l’Homme l’énonce dès son premier article : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». La question de fond est là : peut-on incarcérer des hommes et des femmes parce qu’ils proviennent du mauvais pays, ont la mauvaise couleur de peau, la mauvaise formation, le mauvais statut social ou la mauvaise religion et n’ont commis que le crime de vouloir vivre mieux ailleurs ? Cette question politique est en train d’être traitée et harmonisée au niveau européen, et la réponse des politiques y est unanimement : oui, on peut !
1 Cimade : Comité inter-mouvements auprès des évacués ; les rapports détaillés de l’organisme peuvent être téléchargés sur le site Internet www.cimade.org.