Les lettres que les enfants de la quatrième année scolaire de l’école primaire de Luxembourg-Belair ont écrites au ministre délégué à l’Immigration Nicolas Schmit (LSAP) vous brisent le cœur. Avec leurs plus belles écritures et dans leur meilleur allemand, ils ont demandé, la semaine dernière, à ce que le ministre autorise leur amie Edvina Sabotic, douze ans, à rester au Luxembourg, pour qu’elle puisse y réaliser son rêve de devenir coiffeuse (Tageblatt du 15 juillet).
Edvina Sabotic est Kosovare, elle est arrivée il y a trois ans au Luxembourg, avec sa famille. Ils ont reçu, la semaine dernière, une lettre du ministère de l’Immigration qui les informe que, leur demande du statut de réfugiés ayant été déboutée, le ministère les invite à quitter le pays de leur plein gré et que, sinon, ils risquaient de voir débarquer la police chez eux pour une expulsion par la force. Toute la classe en est traumatisée, les enfants vont tous passer des vacances à craindre qu’ils ne reverront plus jamais leur amie. La famille Sabotic n’est pas la seule à avoir reçu une telle lettre. D’autres sont convoquées directement au ministère, où on leur explique avec force et insistance qu’un « retour volontaire » serait la meilleure des solutions pour tout le monde, si elles veulent éviter à leurs enfants le nouveau traumatisme de voir la police débarquer au petit matin dans leur chambre à coucher. Les témoignages filmés dans le documentaire Weilerbach de Yann Tonnar sont assez explicites sur les méthodes de pression psychologique employées.
Le problème du gouvernement est que, bien que tout le monde, des hommes et femmes politiques aux représentants des ONG, souligne toujours que les retours des demandeurs d’asile font partie d’une politique juste et équitable en la matière, en pratique, il n’y a pas de « bonne méthode » pour expulser. Depuis l’arrivée massive de réfugiés des Balkans, autour de 1999, beaucoup de ceux-là, ainsi que de nouveaux arrivants des dix dernières années, sont restés au Luxembourg, dans une sorte de no-man’s-land sans droit, fait d’attentes et d’incertitudes.
Ces dernières années, les chiffres de nouvelles arrivées ont beaucoup baissé, il n’y a plus eu que 426 nouvelles demandes en 2007. Mais sur les quelque 500 dossiers concernant plus de 700 personnes traités la même année, seules 160 personnes se sont vues accorder le statut selon la Convention de Genève ; 155 personnes ont obtenu le statut de tolérance et 224 peuvent rester pour des raisons humanitaires. En comparaison : il y a eu 146 retours, assistés ou forcés en 2007. Les Balkans restent la principale région de provenance et de départ de ces immigrés.
Après les années de Luc Frieden (CSV) à l’Immigration, que même la « presse amie » avait fustigé pour son manque d’humanité dans la gestion de ces sorts humains, les ministres Asselborn et Schmit ont essayé, et en partie réussi, à calmer la situation, à gérer les questions d’immigration légale et illégale, à quelques exceptions près, comme notamment le cas de Zubeyde Ersöz, avec un peu plus de diplomatie et de doigté, reprenant les dossiers des familles les plus populaires ou médiatisées sur le métier, augmentant le pouvoir décisionnel du ministre… Car un immigré illégal célibataire originaire d’Afrique et en plus prévenu ou condamné pour trafic de drogues ne trouve guère d’appuis, par contre une famille intégrée, avec plusieurs enfants scolarisés et représentant exactement ce que tout le monde attend des immigrés exemplaires, personne ne comprendra pourquoi ils doivent partir – sinon pour le principe. C’est une des raisons pour lesquelles les grandes vagues de retours sont organisées durant les vacances d’été, lorsque les enfants ne sont pas à l’école. Le ministère serait en train de préparer des vols charters qui devraient partir d’ici la fin du mois, ce qui expliquerait les convocations et avertissements des dernières semaines.
Lorsque la Chambre des députés a adopté à l’unanimité, mercredi dernier, 9 juillet, la nouvelle loi sur l’immigration, remplaçant celle de 1972, elle a également analysé une série de règlements grand-ducaux d’application, dont les derniers avaient été adoptés quelques jours plus tôt, le 4 juillet, au conseil des ministres. Outre ceux ayant trait au niveau de rémunération minimal pour un travailleur hautement qualifié, aux données à caractère personnel des demandeurs d’asile ou au contrôle médical des étrangers, le règlement qui suscite le plus d’intérêt est celui établissant une sorte de catalogue de règles de bonne conduite à appliquer lors des retours forcés, ce que les ONG et la Commission consultative des droits de l’homme ont toujours revendiqué.
Toutefois, et malgré l’avancée que représente un tel texte, le règlement déçoit parce qu’il reste extrêmement flou sur beaucoup de points. Ainsi, il définit les conditions dans lesquelles aucune « mesure d’éloignement » ne peut être prise : lorsque la personne ou un membre de sa famille est médicalement dans l’impossibilité de voyager ; les besoins des personnes vulnérables, enfants et personnes âgées, doivent être dûment pris en compte ; l’unité familiale doit être respectée, sauf si un membre de la famille se cache pour y échapper. L’éloignement doit se faire « dans le respect de la dignité et de la sécurité de la personne à éloigner » et l’opération peut être interrompue si elle met en danger la sécurité de la personne à éloigner, de son escorte ou d’autres voyageurs.
Une escorte composée de policiers accompagne la personne, dont au moins un policier du même sexe ; ils doivent être clairement identifiables, le port de cagoules et de masques est interdit ainsi que, s’il s’agit d’un voyage en avion, le port d’armes. En cas de retour groupé par vol charter, un observateur d’une ONG humanitaire est autorisé à accompagner le voyage et peut faire un rapport au ministre. Les membres de l’escorte ainsi que les observateurs bénéficieront d’une « formation spécifique », qui peut, selon le commentaire des articles, porter sur la médiation, la gestion du stress, les connaissances culturelles spécifiques ou les tactiques policières à suivre…
Dans un communiqué, la Commission consultative des droits de l’homme s’inquiétait la semaine dernière du risque de refoulement et souligne une nouvelle fois qu’un règlement grand-ducal n’est pas suffisant pour enfreindre plusieurs libertés fondamentales inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme, comme la protection de la vie privée et familiale ou l’interdiction de traitements dégradants ou inhumains, comme cela risque d’être le cas lors de retours « par la contrainte » telle qu’inscrite dans l’article 124 de la nouvelle loi. Ces mesures nécessiteraient, selon la commission, une loi.