La commission d’enquête parlementaire sur le Service de renseignement ne veut pas se laisser entraîner sur le terrain gadouilleux du budget et du financement, ni s’enliser sur des chemins de traverse qui obligeraient fatalement les députés à faire leur autocritique sur un système qu’ils ont mis en place eux-mêmes : la loi de 2004 sur le Srel réduit presque à néant le champ d’action de la commission de contrôle parlementaire du Srel sur les finances du service, le détail des recettes étant couvert « par le secret des opérations » et le budget reste à la discrétion du Premier ministre. Au point même que lorsque la Cour des comptes audite les finances du Service de renseignement, son rapport est envoyé au Premier ministre en personne et non pas à la Chambre des députés, comme la logique l’imposerait. C’est la loi qui le prévoit, même si certains députés qui l’ont votée des deux mains semblent l’avoir un peu perdu de vue. « Le contrôle périodique de la gestion du Service de renseignement est assuré par la Cour des comptes », dit l’article 7 de la loi de 2004 sur le Srel. La Cour des comptes peut faire des « observations » au chef du gouvernement, mais rien n’oblige ce dernier à en tenir compte. Pour autant, après une nouvelle séance d’explications de la direction du Srel et d’un responsable du ministère d’État, les membres de la commission parlementaire ont noté « des efforts pour formaliser les procédures budgétaires » depuis 2011. « Finances du Srel : cartes sur table » ose le communiqué de la Chambre des députés dans lequel il faut lire en filigrane que les membres de la commission, qui n’ont qu’une seule hâte, celle de boucler leur rapport, cherchent à recentrer leurs travaux sur le fonctionnement opérationnel passé du Service de renseignement et qu’ils sont disposés à se pincer pudiquement le nez sur les questions d’argent (là où il y a un « dysfonctionnement à la puissance trois », note un proche du dossier), notamment sur les attributions de primes versées par le Srel à une poignée de fonctionnaires chargés précisément du contrôle financier et juridique du service. Sans oublier les cautions des appartements pour les indicateurs du service. L’argent, c’est pourtant le nerf de la guerre. C’est aussi le fil conducteur de la plupart des « affaires » qui ont conduit à la mise en place de la commission d’enquête, du mélange des genres à Cargolux aux commissions de dix pour cent de Paesa en passant par l’oligarchie russe et quelques autocrates africains. Et la ligne rouge avait été allègrement franchie. L’appartement que Gérard Reuter, ancien président de la Chambre des comptes, limogé en 1999, a habité aux frais du Srel avait mis le feu aux poudres, après que l’ancien chef des opérations du Srel Frank Schneider ait révélé (Land du 19 avril) lors d’une audition (son verbatim et celui de l’agent André Kemmer viennent d’ailleurs d’être transmis pour information au Parquet) que sa firme d’intelligence économique Sandstone avait pris à sa charge le loyer, après le limogeage de Marco Mille de la direction du service en 2009. Lors de son témoignage fleuve, Schneider a aussi révélé l’existence d’un stock de pièces d’or dans le trésor de guerre du Srel : des Krüger y ont été entreposés, un peu comme dans une grotte d’Ali Baba, pendant la guerre froide et font l’objet une fois par an d’un cérémonial au Service pour vérifier si le trésor d’une valeur d’un million d’euros est toujours intact. La loi de 2004 sur l’organisation du Service de renseignement ne prévoit pas d’autres scénario que la thésaurisation des richesses (les fonds non employés une année donnée sont portés en recette sur l’exercice suivant). De fil en aiguille, du tas d’or du Srel au loyer de Gérard Reuter, l’intérêt de la commission parlementaire s’est orienté vers le système des primes et indemnités versées par le Service de renseignement : son directeur Patrick Heck a dû reconnaître devant les députés que l’arrosage dépassait le périmètre des seuls agents de son service et s’élargissait à d’autres fonctionnaires, « entre quatre et cinq », parmi lesquels des proches du cercle des partis au pouvoir, CSV et LSAP confondus. Cette information fut d’ailleurs révélée par nos confrères de la Radio socioculturelle. Les noms de Patrick Gillen, le patron du contrôle financier au ministère des Finances et président du Fonds Kirchberg, et celui de Luc Feller, secrétaire général adjoint du Conseil de gouvernement au ministère d’État, sont tombés devant le membres de la commission. Chargé du contrôle financier du Service de renseignement, Patrick Gillen met donc, à côté de sa paie de haut fonctionnaire et des émoluments comme vice-président du conseil d’administration de la Banque et caisse d’épargne de l’État, du beurre sur les épinards chaque mois pour le surcroît de travail que lui occasionnent les comptes du Srel. Aucune information n’a toutefois filtré sur les montants en jeu. La loi de 2004 plafonne les indemnités en dehors des primes « normales » à 90 points indiciaires, soit environ 1 600 euros par mois. Ce qui dérange avec Patrick Gillen, c’est qu’il a toujours catégoriquement refusé de soutenir les revendications de « ses » propres contrôleurs financiers pour obtenir une sorte de « prime de risque » du fait de l’ingratitude de leur mission et les quolibets de toutes sortes dont ils sont parfois couverts lorsqu’ils viennent mettre leur nez dans les affaires des différents ministères. Étoile montant du Parti chrétien social – si Gilles Roth, CSV, était entré au gouvernement à la place de François Biltgen, il l’aurait remplacé à la tête de la commune de Mamer –, Luc Feller compte aussi parmi les bénéficiaires des primes du Srel dont il assure le contrôle au niveau juridique. Le montant de la prime, pour lui, n’exederait pas 200 euros par mois, selon des informations de 100,7. Mais au-delà des montants, c’est surtout l’indépendance des contrôleurs qui est sérieusement mise à mal. Sans oublier l’opacité dans laquelle les primes, normalement réservées aux agents du Srel, sont attribuées en dehors du périmètre initialement prévu et leurs montants déterminés. Même s’ils restent à la discrétion de Jean-Claude Juncker (le taux de l’indemnité, dit la loi sur le Srel, est fixé par décision du Premier ministre, ministre d’État) et qu’il s’agirait d’une vieille tradition que même Patrick Heck, en remplaçant Marco Mille, n’a pas eu le courage de supprimer, la réglementation sur les traitements dans la fonction publique n’autorise le paiement de primes, qui engagent de l’argent public, qu’à travers une loi ou un règlement grand-ducal. Or, ici, on est dans le fait du prince, qu’importe s’il a été ou non validé par un arrêté ministériel que les membres de la commission d’enquête parlementaire ont d’ailleurs cherché à se procurer, obligeant Jean-Claude Juncker a faire à nouveau ses fonds de tiroirs.
Véronique Poujol
Kategorien: Affäre Srel
Ausgabe: 19.04.2013