Patrick Heck, le directeur du Service de renseignement, a confirmé mardi devant la Commission d’enquête parlementaire sur le Srel, lors d’une audition à huis clos, qu’il y a bien eu en 2007 des contacts entre son prédécesseur Marco Mille et le prince Albert de Monaco pour tenter de convaincre le souverain monégasque de ne pas fermer l’embryon de service secret mis en place par un ancien journaliste d’investigation, l’Américain Robert Eringer. Le patron du renseignement luxembourgeois pouvait difficilement nier devant les députés ces contacts que Eringer lui-même a largement commenté dans un de ses blogs et qui font par ailleurs partie de pièces de procédure dans un procès civil aux États-Unis. D’autant moins que des factures d’hôtel, cartons d’invitation et une lettre officielle du Srel du 30 août 2006 signée par Marco Mille renseignent, entre autres, de plusieurs rencontres que Robert Eringer eut au Luxembourg, qui, d’après le compte-rendu que l’intéressé en fit lui-même, s’apparentent surtout à un type de séminaire où l’on s’amuse davantage aux frais de la princesse que l’on ne travaille. Marco Mille, qui repassera à son tour, à huis clos lui aussi, devant les membres de la Commission parlementaire, devra donc expliquer pourquoi il a soutenu sans beaucoup de retenue cet Américain qui passe aujourd’hui pour faire partie du top 10 des plus grands « escrocs aux renseignements », à côté notamment de l’informaticien français Imad Lahoud, qui avait trafiqué les fichiers Clearstream pour mettre en cause et déstabiliser l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Eringer est désormais présenté par des psychiatres cités par la presse française comme un cas de mythomanie et de « perversion pathologique ». Deux dirigeants du renseignement luxembourgeois ont en tout cas succombé à la supercherie, tout comme Albert de Monaco. Les innombrables rapports que Robert Eringer a rendus publics lorsqu’il officia dans la principauté pour y lancer le MIS, Monaco intelligence service, mentionnent l’activité et l’implication du Srel dans le projet de création d’une association des services de renseignement des petits pays, sous le nom de Groupe Columbus (son nom définitif, mais le projet au départ portait le nom de Club du Luxembourg), à l’instar de ce qui existe déjà pour les grands services, notamment le Club de Berne. Venue de Eringer lui-même, probablement pour justifier la création du MIS et surtout de lui fournir des entrées dans les milieux du contrespionnage et du renseignement qu’il n’avait pas de manière formelle, l’idée du club des services de renseignement des micro-États européens, pour la plupart montrés du doigts par les grands pays comme des « paradis fiscaux », aurait enthousiasmé Marco Mille et Frank Schneider, l’ancien chef des opérations du Srel. Dans sa lettre du 30 août invitant les représentants des services secrets des petits États à se joindre à la première réunion du Club, qui se tenait les 24 et 25 octobre 2006, Mille estime important de partager et échanger sur « des problèmes communs liés à la taille de nos pays ». À l’origine (2002), Albert de Monaco a recruté Eringer, qui assure avoir servi pour la CIA et le FBI et se vantait de ses bonnes relations avec les services secrets britannique et russe, pour l’informer sur les nouvelles fortunes s’installant sur le Rocher, notamment des Russes aux capitaux d’origine pas toujours respectable. Séduit par le personnage, le prince en fera son conseiller spécial chargé du renseignement. En 2005, fort de la confiance du prince, Robert Eringer se fait imprimer une carte d’agent du MIS (il était le numéro 001), dont il est le seul employé et se fait limoger en 2007 par le souverain monégasque contre lequel il nourrit désormais une rancune tenace émaillée d’une série de procès en diffamation et en recouvrement de factures que la principauté ne lui aurait pas payées. Les premières rencontres entre Eringer, Mille et Schneider se seraient faites à Monaco, sur le yacht de la famille princière en présence de nombreuses personnalités, notamment du monde du renseignement d’États, ou privé. C’est là, entre autres, que les deux dirigeants du Srel seraient entrés en relation avec un détective privé proche du service de renseignement britannique qui va les mettre sur l’affaire « Lebedev/Paesa » (lire ci-contre). Dans une discussion rapportée par Eringer entre Albert de Monaco et Mille, le premier demande au directeur du Srel si son service « briefait » régulièrement le grand-duc. Ce à quoi Mille aurait répondu non, en regrettant ne pas avoir accès au souverain luxembourgeois et ce que la Cour perdait en avantage de ce manque de proximité. Jean-Léonard de Massy, un cousin du Prince Albert de Monaco, devait recevoir une formation d’espion au Luxembourg et probablement aussi à l’étranger sous parrainage grand-ducal. Ce qui ne se fit pas. Une réunion préparatoire pour mettre sur pied le Groupe Columbus, qui devait se réunir trois fois par an, avec comme point de départ des micro-États comme Monaco, le Liechtenstein, le Luxembourg et Malte, eut donc lieu sur le territoire grand-ducal à l’automne 2006. Robert Eringer rapporte ainsi « un dîner sompteux » au Bouquet Garni, une des meilleures tables de Luxembourg-Ville en présence de Marco Mille, Godfrey Scicluna, alors chef des services secrets de Malte, et René Brülhart, qui dirigeait encore la cellule de renseignements financiers du Liechtenstein et qui œuvre désormais à la tête du département anti-blanchiment du Vatican. Le nom de René Brülhart est d’ailleurs brièvement apparu en avril 2009 à la constitution de The Institue for Global Financial Integrity, présidé par Jacques Santer et sponsorisé par le holding GMH, dans lequel on trouve aussi l’Irlandais Jed Grant, associé de la firme d’intelligence économique Sandstone aux côtés notamment de Frank Schneider. L’ex-chef des opérations du Srel ainsi que deux officiers de liaison faisaient partie de la délégation luxembourgeoise. Le Château de Senningen, haut lieu des rencontres des chefs d’État en visite au Luxembourg, servit de cadre au premier meeting du Club de Luxembourg/Groupe Culumbus, qui ne vit jamais vraiment officiellement le jour en raison de l’implosion en vol du MIS monégasque et du limogeage de son chef auto-proclamé. Le Vatican n’avait pas envoyé à Senningen de représentant, mais adressa poliment aux participants une carte de félicitation par courriel. La question de l’intégration de l’Islande dans le groupe fut posée et l’on discuta d’une prise de contact avec Saint Marin et de l’opportunité d’admettre la juridiction de Gilbraltar dans le club, ce qui donna lieu d’ailleurs, selon les affirmations d’Eringer, à un échange de bonnes blagues de la part de Marco Mille : « Nous avons déjà les Américains, nous ne voulons pas aussi les Anglais ! ». L’ex-directeur du Srel avait asséné un peu plus tôt une boutade selon laquelle « une fois que les gens se retrouvaient à Senningen, personne n’était autorisé à en sortir jusqu’à ce que le problème soit réglé ». Ce qui est certain, c’est que les représentants des services de renseignements des micro-États ont terminé leur journée dans une cave à Ehnen pour y tester le riesling et les pinots. Une autre réunion eut lieu à Monaco en février 2007. Eringer, qui n’était plus dans les bonnes grâces de la principauté, assure alors avoir organisé un rendez-vous entre Marco Mille et son altesse sérénissime pour tenter de le convaincre de l’importance de conserver le Monaco Intelligence Service. Un dernier meeting se tint à Malte en octobre 2007, avant que l’association n’implose sur elle-même.
Véronique Poujol
Kategorien: Affäre Srel
Ausgabe: 08.03.2013