Patrick Majerus n’est pas un extroverti. Officier à l’armée luxembourgeoise, il connaît la diplomatie, les hiérarchies, les régions en crise. Avant de parler, il réfléchit, soupèse les mots qu’il choisit pour dire les choses, fait des pauses. Et pourtant, Patrick Majerus a choisi de ne pas rester un collectionneur d’art anonyme et caché, comme le sont la majorité de ceux du grand-duché, qui collectionnent par passion mais achètent à l’étranger pour que cela ne se sache pas trop. Patrick Majerus, lui, s’expose : il a montré une partie de sa collection au Kunstsäle, espace privé à Berlin, en 2010 ; il autorise Jo Kox, le président du Fonds culturel national, à parler de ses donations au Mudam (qui, s’ils transitent par le Focuna, sont fiscalement déductibles) ; il figure dans le livre Luxembourg Collecting de Hans Fellner et Andrés Lejona (Maison Moderne, 2013). Et il est prêt à rencontrer une journaliste pour parler de son approche de la collection d’art.
Vendredi 18 avril en fin de matinée au Mudam. Dans la cafétéria baignée du soleil de printemps, Patrick Majerus termine une réunion avec les responsables du musée : le directeur Enrico Lunghi et les commissaires d’expositions Clément Minighetti, Marie-Noëlle Farcy et Christophe Gallois. Poignées de main, « merci », « non, non, on a terminé », « on s’appelle ». Depuis plusieurs années, Patrick Majerus fait des donations d’œuvres d’art au Mudam : en 2012, il a offert Pneuma de David Zink Yi au musée, le film qui accompagne les palmiers argentés de l’artiste longtemps installés sous la verrière à côté de Su-Mei Tse. En 2013, il a transmis plusieurs œuvres au Mudam, « et quand j’ai entendu la polémique stupide sur le travail d’Enrico Lunghi et les discussions sur le renouvellement de son contrat, j’ai encore fait une deuxième donation à la fin de l’année, en guise de soutien. » Puis, cette année, Patrick Majerus est allé encore plus loin dans son geste de partage de sa collection : en janvier, il a apporté tout le catalogue de la collection Stéphanie et Patrick Majerus, comportant plus de 200 pièces, et laissant entière liberté aux décideurs du Mudam quant aux œuvres qu’ils aimeraient accueillir au musée. Même s’il s’agit d’œuvres auxquelles lui et sa femme sont particulièrement attachés. « Nous avons gardé un droit de véto, explique Patrick Majerus. Mais nous voulons jouer le jeu : cette donation se veut un geste collégial, qui se fait dans l’échange, le dialogue. » Ce matin-là, ils ont discuté de trois grandes et quatre petites pièces qui rejoindraient le Mudam cette année, dont un travail qui lui tient particulièrement à cœur. La décision finale se prendra dans les prochaines semaines.
« Mais pour moi, il est évident que, même une fois au Mudam, ces œuvres continueront à faire partie de notre collection, ajoute Patrick Majerus. Je crois d’ailleurs que tous les collectionneurs doivent prendre une part de responsabilité dans le développement des collections publiques, c’est chose courante à l’étranger ! » Il trouve tout à fait naturel que les collectionneurs s’intéressent davantage à l’art très contemporain, alors que les musées doivent prendre un peu de recul. Par les donations, les deux mondes se rejoindraient. « De toute façon, tôt ou tard, l’art de qualité finit toujours au musée. »
La passion de Patrick Majerus pour l’art contemporain a commencé autour de l’année 2000, il avait alors à peine 25 ans. Achetant essentiellement des œuvres d’artistes luxembourgeois au début, il s’est tourné dès 2004 vers le marché international. « On a besoin de quelques années pour affiner son regard et fixer ses préférences esthétiques », se souvient-il. Mais grâce à quelques bons galeristes et d’autres collectionneurs qui le guidèrent et dont beaucoup sont devenus des amis depuis, à force de s’échanger, il a trouvé sa voie. Patrick Majerus collectionne avec rigueur, souvent des ensembles d’œuvres d’artistes qu’il apprécie particulièrement, dans leur grande majorité allemands ou américains. « Bien sûr qu’on est toujours subjectif dans ses choix, c’est aussi une question d’affinités personnelles. » D’ailleurs, il n’a pas de problème à se séparer d’œuvres qui ne lui plaisent plus, en les revendant, en les rendant ou en les échangeant contre d’autres œuvres, « ça fait partie des libertés du collectionneur » dit-il.
En ce moment, il s’intéresse beaucoup au travail engagé de l’Américain Michael E. Smith et à celui, plus poétique, du Belge Philippe Vandenberg. « Je cherche des œuvres qui me parlent, des pièces qui enrichissent votre vie et vous font réfléchir, qui vous font voir le monde autrement, sans qu’on ait forcément besoin de lire six livres pour les comprendre », est une des prémisses pour les choix de Patrick Majerus. Les nouvelles œuvres, celles qu’il vient d’acquérir un peu partout en Europe, sont assez vite installées dans la maison du couple, qui vit entouré d’art contemporain de manière tout à fait naturelle, « C’est un vrai plus en qualité de vie », souligne le collectionneur, qui aimerait encourager plus de gens à l’imiter. « Aussi parce qu’on y découvre un monde différent, un monde très ouvert, où des collectionneurs très riches et de très jeunes artistes sans le sou peuvent se côtoyer », raconte-t-il. Or, si au début, il cherchait encore à faire partie de tous les vernissages et de toutes les fêtes du marché de l’art, il sait maintenant que le vrai luxe, c’est d’être invité et de ne pas aller à un événement de mille convives, mais de préférer aller boire une bière avec des amis. Voilà encore une autre de ses libertés.