Les ministres de l’UE ont, en formation de Conseil compétitivité, lancé formellement le 10 mars la coopération renforcée pour instaurer enfin un brevet strictement européen. Et ce malgré l’opposition constante de l’Italie et de l’Espagne et en dépit de l’avis de la Cour de justice du 8 mars invalidant la juridiction compétente pour ce brevet. C’est une décision historique, a souligné Zoltan Cséfalvay, ministre délégué hongrois à l’Économie, dont le pays préside actuellement l’UE.
L’objectif est de créer un système moins coûteux et qui produirait ses effets dans tous les États membres, moyennant une procédure de dépôt unique et plus économique que celle prévue par l’actuel « brevet européen ». Ce dernier est régi par la convention de Munich sur le brevet européen de 1973, à laquelle participe les États membres et d’autres États hors UE, mais pas l’UE elle-même, et qui a créé l’Office européen (OEB).
Le projet proposé par la Commission se fonde sur les trois langues en vigueur au sein de l’OEB : anglais, allemand et français, ce qui a déclenché l’opposition des Italiens et des Espagnols, qui souhaitent que leurs langues respectives soient reconnues. Ils s’opposent à ce système qui introduit, à leurs yeux, une « discrimination linguistique ».
L’unanimité n’ayant pu être atteinte sur la question du régime linguistique, ce qui a été acté lors du Conseil compétitivité du 11 novembre dernier, 25 États ont décidé de ne pas retarder les progrès pour une meilleure protection de l’innovation en Europe et d’utiliser pour la seconde fois le mécanisme de la coopération renforcée, autorisé depuis le traité d’Amsterdam (il avait été mis en place en juin 2010, pour des procédures de divorce de couples binationaux). La Commission a donc fait, sur demande de onze États au départ, une proposition en ce sens. Elle a encouragé cette option, parce que la compétitivité est en jeu et que ce sont « surtout les petites entreprises qui sont davantage pénalisées par cet absence de brevet », souligne le commissaire Michel Barnier, chargé du marché intérieur et des services financiers. La proposition, qui a été finalisée par la Présidence belge, « est juridiquement sûre, économiquement indispensable et politiquement acceptable », a-t-il martelé à l’issue du Conseil. Elle permet selon lui à toutes les entreprises de l’UE – même espagnoles et italiennes – de bénéficier d’une protection unitaire par brevet et de pouvoir bénéficier de traductions des caractéristiques des inventions qu’elles veulent protéger dans leurs langues et dans une des trois langues officielles. Un avis que ne partagent pas l’Espagne et l’Italie.
Paraphrasant Garcia Marquez, le ministre espagnol des Affaires européennes, Diego Lopez Garrido, farouche opposant à la coopération renforcée, a décrit le futur du brevet communautaire comme étant celui d’une « chronique d’une mort annoncée ». Selon lui en effet, cette architecture globale du brevet, telle qu’elle est actuellement envisagée, n’est pas « viable », d’abord parce qu’elle n’a plus de base juridictionnelle suite à l’avis défavorable de la Cour de justice de l’UE, rendu deux jours avant le Conseil, et invalidant la juridiction envisagée pour régler les litiges inhérents au futur brevet de l’UE. Ensuite, parce que la protection elle-même est aussi incompatible avec les traités. Son homologue italien, Stefano Saglia, a aussi souligné que ce projet était sans avenir et a demandé aux ministres présents d’« arrêter les chronos » et de repenser toute cette architecture à la lumière de l’avis de la Cour. Ils ont déclarés leur intention de déposer un recours contre la coopération renforcée devant cette même Cour de justice.
Hubert Legal, directeur du service juridique du Conseil a, quant à lui, infirmé cette assertion selon laquelle les deux volets étaient liés. Il a souligné qu’« aucun élément dans l’avis ne remettait en cause cette séparation », ni « n’imposait de report de la coopération renforcée ni des règlements instituant le brevet ». Il a ainsi renforcé la position du Conseil et de la Commission qui, dès le rendu de l’avis de la Cour, ont insisté sur « le fait que ces volets étaient juridiquement distincts ».
Après l’aval du Parlement européen, intervenu le 15 février dernier, la procédure de lancement de la coopération renforcée est terminée. Reste maintenant à la Commission de faire une proposition de règlement. Ce sera pour le 30 mars, selon le calendrier dévoilé par Michel Barnier.