Investissements étrangers dans l’UE

Appel à un débat

d'Lëtzebuerger Land du 03.03.2011

Deux commissaires se font les portes parole des chefs d’entreprises européens inquiets de la croissance des investissements étrangers dans l’UE et ont demandé au président de la Commission, José Manuel Barroso, d’ouvrir un débat sur ce sujet. Une première dans une Europe jusque-là davantage axée sur le respect de la libre circulation des capitaux ou de la protection des investisseurs.

Les commissaires Antonio Tajani (indutrie) et Michel Barnier (marché intérieur et services financiers) ont en effet écrit à José Manuel Barroso pour lui demander de lancer une discussion sur les rachats d’entreprises européennes par des concurrents non-européens, soulignant le risque de « pillage » des connaissances notamment des conséquences en termes d’innovation. Car ces investissements étrangers visent les secteurs sensibles et/ ou de pointe, en provenance de la Chine et de Russie principalement. Deux pays qui instaurent des barrières aux investissements étrangers sur leur territoire et qui favorisent ces investissements qui sont de surcroît pilotés par des sociétés détenues ou soutenues par les États. Pour mémoire, on rappellera l’épisode du rachat fin 2010, du leader européen des câbles utilisés dans l’industrie des télécommunications, les satellites notamment, le Néerlandais Draka, qui intéressait le chinois Xinmao. L’opération a capoté de justesse mais a créé un certain émoi dans le milieu des entreprises européennes.

Pour preuve des barrières protectionnistes qu’il instaure, le gouvernement chinois a, le 17 février, a rendu publique une circulaire préfigurant une réglementation sur un système d’examen des acquisitions et fusions d’entreprises chinoises par des investisseurs étrangers qui portera sur les incidences de ceux-ci sur la défense nationale, les équipements, le fonctionnement stable de l’économie nationale, la recherche et de développement des technologies clés concernant la sécurité de l’État. Aux États-Unis, le Committee on Foreign Investment in the United States vise aussi à limiter les implications d’investissements étrangers dans la sécurité nationale. Au niveau des 27, la France, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et même le Royaume-Uni ont instauré des dispositifs d’autorisation préalable pour contrôler les investissements dans des secteurs stratégiques. Ainsi la France a-t-elle bloqué récemment la reprise du spécialiste des terminaux de paiement Ingenico par un concurrent américain.

Se fondant sur ces processus, Antonio Tajani prône, depuis quelques mois déjà, la mise en place à l’échelon européen d’une agence européenne chargée de l’examen des investissements étrangers qui permettrait de savoir précisément si les rachats d’entreprises porteuses de savoir-faire européen par des entreprises privées ou publiques étrangères présentent un danger ou pas.

Il a entamé une « croisade » dans quelques capitales pour défendre son projet. Le commissaire a reçu un accueil favorable à Paris, mais pas à Berlin. En décembre dernier, il déclarait au quotidien Handelsblatt : « Les entreprises chinoises ont les moyens d’acheter de plus en plus d’entreprises européennes avec des technologies-clés dans des secteurs importants… C’est une question d’investissement mais, au-delà, il y a une stratégie à laquelle l’Europe doit répondre politiquement ».

Cet appel des deux commissaires soulève une question qui changerait la donne, car il n’y a pas, à ce jour, au niveau européen d’action politique dans ce sens. Pour l’instant, leur demande consisterait à évaluer les conséquences dommageables à ces investissements et d’examiner comment les limiter voire les éviter et ce en harmonisant les régimes de protection existant au niveau national qui restent très flous et différents d’un État à l’autre. Ils envisagent aussi la possibilité, dans la ligne du projet de Tajani, d’un contrôle au niveau européen lorsqu’un investissement revêt un intérêt européen, par exemple s’il concerne plusieurs États membres.

Le courant libéral, dominant au sein du collège des commissaires sera-t-il sensible à ces arguments pour revoir radicalement son approche de la question des investissement et accepter des mesures somme toute protectionnistes ?

Sophie Mosca
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