Après des mois de préparation et des semaines d’intenses répétitions (voir d’Land 26/16), Letters from Luxembourg se dévoile enfin au Théâtre des Capucins. Née d’une volonté d’intégrer et de valoriser les réfugiés grâce à la créativité, la pièce propose une réflexion sur la liberté des populations de migrants à travers non seulement les lettres envoyées à ceux restés au pays, mais également les différentes autres fonctions que peut revêtir un simple morceau de papier tout au long du parcours, jusqu’au pays d’accueil. Un spectacle vivant et frénétique qui interroge autant qu’il atteste, qui touche autant qu’il étonne.
Le projet Letters from Luxembourg est avant tout une collaboration entre deux partenaires de longue date, Sylvia Camarda et Serge Tonnar, qui voient l’opportunité de proposer un objet culturel unique lors d’un atelier de l’association Mir wëllen iech ons Heemecht weisen, visant à promouvoir la culture au sein des différents centres de réfugiés de Luxembourg. Le casting qui suit révèle alors le talent et l’implication de chaque acteur, costumier ou producteur en herbe, permettant ainsi au duo de dessiner les contours de la future pièce et des personnages, notamment à partir des lettres rédigées par une partie des participants. La lettre envoyée en orient devient un élément central du scénario et trouve son miroir dans la « paperasse » administrative de la terre d’accueil occidentale... Quel est le rôle du papier dans tout cela ? Est-il un simple support, un véhicule d’idée et de valeurs, voire une arme pacifique qui permet de jouir de la vraie liberté ? Pour tenter de répondre à ces questions et inviter le public à réfléchir de leur côté, les acteurs, musiciens et danseurs – professionnels et amateurs – se succèdent et s’entrechoquent dans des scènes très variées mais toujours animées, intenses dans leur traitement de la notion d’être humain et de sa représentation. Le mouvement physique est également omniprésent, rappelant le long voyage effectué par la majorité du casting et abordé via de nombreux domaines du spectacle vivant.
Le tout aurait pu être cacophonique, brouillon... Il impressionne au contraire la plupart du temps par sa justesse et sa sobriété. En effet, si sur le papier Letters from Luxembourg pouvait paraître fait de bric et de broc, le résultat est une véritable claque, tant dans la joie que dans la tristesse. On sourit chaleureusement devant Diogo Fernandes et son incarnation très comique et circassienne du pêcheur, observateur onirique du voyage de chacun ou encore lors de l’accueil trilingue en Liberté par une Tara Donnell toute en « amazing » américain, une Aude-Laurence Biver criante de vérité en parisienne ingénue et une Martine Kohn qui tranche en luxembourgeoise exaspérée alors que les primo-arrivants sont invités à s’enthousiasmer bruyamment à la moindre information énoncée. Puis quelques minutes plus tard, le récit introspectif émouvant d’un échange entre un fils et son père absent fait sortir une marée de mouchoirs dans l’assistance. Un petit homme au visage buriné, peut-être le père d’un des acteurs présents sur scène, fond en larmes, semblant tout savoir de cette situation terrible et des interrogations existentielles du jeune homme qui parle. Ce dernier, comme tous les autres réfugiés impliqués dans cette réalisation, a souffert et souffre encore probablement chaque jour derrière l’implication évidente qu’il met à s’exécuter le mieux possible, à faire passer l’émotion qui le gagne...
Outre la prestation touchante de chacun, la mise en scène tout autant que les décors et les costumes réalisés par Anouk Schiltz et Ahmed Dablat sont très réussis et retranscrivent bien les différentes situations plus ou moins périlleuses – sur un bateau bondé ou dans une administration luxembourgeoise – par lesquelles sont amenées à passer les populations migrantes représentées sur la scène des Capucins. Sylvia Camarda a également apporté un soin tout particulier aux chorégraphies, la danse étant naturellement le moyen d’expression idoine pour mettre en évidence le mouvement humain. À cet exercice, le jeune Muhammed Yehia Sheikhouney s’illustre par son talent et la fluidité de ses mouvements et ses incursions inspirées du hip hop donnent un répondant solide et percutant aux interprétations contemporaines de Gianfranco Celestino et des autres danseurs professionnels.
Letters from Luxembourg se termine presque trop tôt sur une standing ovation méritée. Ce n’est pas une pièce parfaite, ce n’est pas un exercice de style, c’est un voyage qui permet à des migrants accueillis à Luxembourg de pouvoir afficher cette expression unique lors des applaudissements et de la communiquer à leur partenaire de jeu autant qu’au public, celle, potentiellement, de la vraie liberté retrouvée...