Cette année, nombreux sont ceux qui seront heureux de voir arriver septembre. Pas pour la Schueber. Encore moins pour retrouver leurs collègues. Certainement pas non plus pour profiter des températures clémentes du climat grand-ducal. Non. Il y a une bonne raison de souhaiter que l’été se termine : il va enfin devenir possible d’échapper, enfin, peut-être, on espère, à Despacito. Allez, tous ensemble : ce ne sera pas trop tôt, pas trop tôt, pas trop tôt, quand on monte en auto, quand on mange au resto, de Tokyo à Quito, de Paris à Porto, qu’il fasse froid ou bien chaud, ça fait six mois bientôt, qu’on entend Despacito… Stop !
Depuis longtemps, l’été est la saison où les chaleurs conjuguées aux effets désinhibants de substances interdites, quand ce n’est pas le simple fait de se retrouver au milieu d’inconnus, peu vêtus et imbibés de Mojito et d’Aperol Spritz, transforment dans un même élan communautaire les ouvriers, les assureurs, les chauffeurs de bus, les comptables de fonds, les profs de lycée et même les informaticiens en individus partageant tous, pendant trois mois, le même goût inexplicable pour une chanson insupportable. La recette reste souvent la même, il suffit de changer les ingrédients. 1985 : Tarzan Boy, 1987 : La Bamba, 1988 : Bamboleo, 1989 : Lambada, 1992 : Didi, 1996 : Macarena, 1997 : Samba de Janeiro, 1998 : Pata pata, 2002 : Las Ketchup, 2003 : Chihuahua, 2010 : Waka waka, 2012 : Gangnam style, rien n’a vraiment changé depuis trente ans, mais que vaut le cru de cette année par rapport à ces augustes prédécesseurs ?
Premier ingrédient : des paroles dans une langue étrangère, qu’il sera de bon ton de hurler d’autant plus fort qu’on ignore ladite langue. On peut constater une certaine prédilection pour les sonorités latines, mais on a tous entendu, une fois dans sa vie, un fanatique du Gangnam style capable de réciter l’intégral du texte coréen en phonétique. D’ailleurs, il n’est pas interdit d’inventer une langue, ou de la mélanger avec du grand n’importe quoi. Les paroles de Las Ketchup tiennent plus du gloubi-boulga que de la langue de Cervantes : « ja deje tejebe tu jebere sibiunouba majabi an de bugui an de buguidipi » (source : Wikipedia). De « waka waka » à « papaoutai », en passant par « taca taca tacata », « dam dam deo » ou « blue (da ba di da ba da) », la longue tradition semble avoir été inaugurée en 1968 par le fameux « obladi oblada » des Beatles, qui est resté le plus grand succès d’un single du groupe chez nos voisins français… Dans cette catégorie, Despacito fait légèrement mieux que la moyenne. Les allusions lascives ne se doublent finalement qu’assez peu d’onomatopées, le moment le plus pénible de la chanson étant finalement juste le titre, prononcé le plus lentement possible, la suite comportant beaucoup plus de paroles que les tubes des étés précédents. Il faut dire que le public, notamment avec Youtube, regarde la musique autant qu’il l’écoute, et que même les plus réfractaires, auxquels des années de cours d’espagnol n’ont pas suffi à apprendre la conjugaison du verbe « hacer », pourront, grâce aux paroles qui s’affichent, répéter autre chose que « pas si tôt, pas si tôt ».
Second ingrédient : la danse, ou plutôt la chorégraphie, qui frise parfois l’agitation frénétique, imposée par la maison de disque : macarena, lambada, las ketchup, gangnam style ne font pas exception à la règle. Il faut croire que tout le monde pense rattraper les séances de zumba manquées pendant l’été. À moins qu’un réflexe pavlovien ne se déclenche chez l’être humain lorsqu’il voit cinq ou six congénères lever les bras en l’air en souriant : « ça a l’air cool, essayons nous aussi ». Sur ce côté-là, par contre, Despacito ne fait pas de cadeau. Vous ne vous en tirerez pas avec deux ou trois pas de côté et quelques moulinets des bras, c’est le niveau supérieur. Il va falloir enchaîner les déhanchés devant le miroir de la salle de bain si vous voulez rivaliser avec les nouvelles générations qui s’entraînent sur Just dance depuis leur plus jeune âge…
Troisième ingrédient : le désir. Si vous maîtrisez les paroles et la musique (investissement moyen : cinq minutes), si vous avez mis en place la chorégraphie (investissement moyen : cinq heures), il vous reste le moins évident… donner envie (investissement moyen : très variable). Rassurez-vous, on ne vous demande pas d’être beau comme Ryan Gosling, il faudra juste être musclé, tatoué, bronzé, bien coiffé mais mal rasé, sûr de vous, souriant mais pas niais, arrogant mais pas hautain, cool mais pas collant. Plus facile à faire au bord de la piscine qu’en attendant le bus devant le chantier du Royal Hamilius… Les tubes de l’été, c’est finalement la même chose que tout ce qu’on trouve dans les magasins de souvenir, on se laisse tenter malgré la mauvaise qualité, et on finit toujours par le regretter.