Soit, d’un côté, un sujet, une thématique qui a déjà fourni au cinéma de très belles réalisations (Wall Street I et II, par Oliver Stone en 1987 et 2010, et, bien avant, Les Temps modernes de Chaplin ou Les Raisins de la colère de John Ford, marqués par la crise de 1929) : le monde sans pitié de la finance et toute la palette de profils humains qu’il offre, passionnant à observer pour un réalisateur. Soit, de l’autre côté, deux nationalités : américaine (États-Unis), et française. À l’arrivée, deux résultats très différents : le premier donnera lieu à ce qu’a magistralement fait un Scorsese en mettant en scène Di Caprio dans Le Loup de Wall Street (2013) ; le second, à Tout de suite maintenant, dernier film de Pascal Bonitzer et coproduction franco-luxembourgeoise (Samsa Film). Le premier sera tout en action, mené tambour battant, entièrement gonflé par la présence de ce loup de la finance aux dents aiguisées. Le second sera « très français » : moins d’action, ou du moins plus calme, une place importante donnée aux dialogues et à la psychologie des personnages.
Mais Bonitzer dépasse la caricature un peu grossière et le reproche souvent fait au cinéma français, prétendument trop bavard et / ou nombriliste, et cela tient avec au moins deux choses : la première relève de l’intrigue même, et du genre vers lequel il la tire en faisant planer un mystère, une étrangeté autour du personnage du père de l’héroïne, écrasant (Jean-Pierre Bacri, que Bonitzer a déjà dirigé dans Cherchez Hortense, dans le rôle d’un personnage alors lui-même écrasé par son père, joué par Claude Rich). La seconde tient à l’écriture des personnages, particulièrement celle de la principale protagoniste, incarnée par Agathe Bonitzer. À 27 ans, la fille du réalisateur a été vue notamment chez les frères Larrieu, Christophe Honoré ou encore Agnès Jaoui.
L’histoire tient en peu de mots : soit cette jeune femme, Nora Sator, entamant une brillante carrière dans la finance, et son adaptation dans un milieu difficile et déshumanisé où règne précisément le principe du TDSM (Tout de suite maintenant). Elle ne tarde pas à découvrir que son père n’est pas un inconnu pour les boss de sa nouvelle boîte... Or donc, le spectateur, un peu dérouté au début par un ton assez calme, des dialogues très écrits, une ambiance de bureaux vides qui va au-delà du simple rendu clinique du décor d’un temple de la finance, est entraîné sur un chemin parallèle : quel est le mystère qui plane autour de Sator père, dit « l’étalingure » ? Bonitzer imprime alors à son histoire certains aspects du thriller. Partant, il imprime aussi au personnage de Nora (avec l’apparition du chien-loup par exemple), une fragilité très intéressante, qui permet là encore de l’éloigner de la caricature de la jeune femme arriviste. Bonitzer rend cette ambivalence à l’écran en montrant cette fragilité au seul spectateur, quand les collègues – et le père – de la jeune femme ne voient que la femme d’affaire froide, choix qui vient renforcer l’aspect déshumanisé du milieu dans lequel elle évolue.
Des éléments habilement distillés viennent aussi ajouter à l’ambiance particulière de ce monde : ce n’est pas tant, ici, drogue, argent et pouvoir qui sont mis en avant (comme dans Le loup de Wall Street par exemple), que la façon dont cette mainmise de la finance dans le monde de l’économie, et davantage, dans toute la société, finit par s’insinuer dans les esprits : ainsi, l’associé du boss, incarné par Pascal Greggory, obsédé par le banyan, cette sorte de figuier asiatique, dit « étrangleur », qui a besoin d’un autre arbre pour croître (« Un arbre effrayant... » souffle-t-il). Ou encore Lambert Wilson en patron sans vergogne citant l’Apocalypse (« Pas de repos ni le jour ni la nuit »).
Pour le bémol, on ne manquera pas de noter que l’histoire d’amour entre Nora et son jeune collègue Xavier, incarné par le très à la mode Vincent Lacoste (révélé par Riad Satouf en ado ingrat dans Les Beaux gosses en 2009 et aujourd’hui acteur montant du cinéma français) est quelque peu téléphonée. Pour l’aspect sentimental du film, on retiendra plutôt le rendez-vous manqué entre le couple Solveig (géniale Isabelle Huppert) et Serge, pour qui la chanson originale de Bertrand Burgalat qui court sur le générique de fin, Gare du Nord, et son allusion à Orphée et Eurydice résonne tristement.