Dexia-Bil est la première banque luxembourgeoise à avoir mis la main au portefeuille pour rembourser ses clients qui ont été piégés par l’affaire Madoff, à travers le hedge fund Rafale Partners, dont elle assurait le rôle de dépositaire, couplé à celui de promoteur. L’établissement l’a également vendu à ses clients, pas toujours des investisseurs avertis. Sans doute moins à l’aise qu’UBS dans ce dossier, Dexia Bil a entamé les « discussions », fin 2009, pour indemniser ses clients, mais s’est rapidement heurté à un front du refus tellement ses propositions ont choqué ceux qui sont familiers avec ce genre de transactions, autant par leur faiblesse que par leur caractère jugé arbitraire : le niveau de l’offre de remboursement oscille entre quinze pour cent des sommes investies à 80 pour cent pour les plus chanceux. « Dans ma carrière, souligne un des avocats des victimes, je n’avais encore jamais vu un arrangement transactionnel en dessous des 50 pour cent, surtout au Luxembourg ».
Dexia Bil de son côté récuse ses accusateurs, affirmant ne pas avoir été « insensible » à la perte subie par ses clients « madoffés ». Ses propositions d’indemnisation reposent, selon elle, sur des « critères objectifs, notamment basés sur le profil de risque du client » ; Dexia assurant vouloir « traiter ses clients de manière équitable ».
Un proche du dossier met toutefois en doute le caractère « objectif » des critères, assurant que le niveau de remboursement dépendrait en fait de la capacité de « protestation » des victimes de Rafale. Et de citer le cas d’un client considéré comme « averti », parce qu’il travaille dans une banque, qui aurait ainsi obtenu un ratio de 70 pour cent, tandis qu’une dame, peu versée dans la science financière, se serait vue proposer un maigre 15 pour cent.
Le naufrage du fonds Rafale a laissé derrière lui un passif de 150 millions de dollars, ce qui est modeste en comparaison avec les dégâts causés par le fonds LuxAlpha (1,7 milliard de dollars), dont le dépositaire UBS Luxembourg n’a toujours pas mis la main au pot, au grand désespoir de ses milliers d’investisseurs. Les ingrédients de l’affaire Rafale sont similaires à ceux de LuxAlpha et le degré de mobilisation des investisseurs pour recouvrer leurs avoirs au moins identique. Mais comme jusqu’à présent, aucun juge luxembourgeois n’a permis aux victimes de récupérer leurs fonds, la ligne d’attaque des investisseurs de Rafale Partners s’articule sur des fondements juridiques nouveaux. Les investisseurs espèrent bien cette fois finir par « enfumer la taupe ».
La première assignation contre Dexia Bil dans l’affaire Rafale (qui devrait être suivie par une série d’autres plaintes au cours des prochaines semaines) actionne des ressorts plutôt inédits dans le secteur financier en s’appuyant, à titre principal, sur les « manœuvres dolosives de la banque Dexia ». Dépositaire du fonds, avec BMIS, la société de Bernard Madoff, comme sous-dépositaire sans que les clients de Rafale n’en furent informés, ni que la documentation officielle n’en mentionne le nom, l’établissement « et l’ensemble de ses employés », accuse l’avocat d’une des victimes, savaient que l’argent partait chez Madoff. « Les omissions de la part de Dexia, souligne-t-il, sont énormes, alors qu’un exercice normalement diligent de sa fonction de dépositaire, de distributeur de parts d’OPC et surtout de promoteur aurait dû l’amener à relever les éléments visibles de la fraude BMIS ». Une analyse des décomptes de bourse reçus par Dexia (défaut d’horodatage, par exemple), et que la banque devait contrôler, aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. « Dexia a donné l’illusion de sécurité aux investisseurs », précise l’accusation en rappelant que des bases de données financières classaient Rafale « premier en risque/rendement parmi les centaines de milliers d’autres OPC » et que le client, au profil d’investisseur « clairement défensif » y a investi 53 p.c. de ses avoirs « sur incitation » de sa banque. Or, les hedge funds ne sont pas des produits à mettre dans toutes les mains. Et d’assurer que « Dexia a, en toute mauvaise foi, usé de manœuvres à caractère dolosif qui ont été la cause exclusive de l’engagement de la part des investisseurs ».
Ce qui a conduit une victime de la fraude a réclamer au juge des référés l’annulation des achats de parts du fonds. Pour compléter son tableau et être sûr d’enfumer la taupe, l’avocat a même sorti de son chapeau l’action oblique. Au cas où Dexia, assignée, ne devait pas être considérée par le juge comme venderesse des parts, sa responsabilité resterait toutefois engagée en qualité de mandataire du fonds. La jurisprudence admettrait en effet que les manœuvres dolosives émanant d’un tiers sont une cause de nullité d’une convention, lorsque le tiers a agi comme représentant du vendeur. De quoi faire regretter à la banque de s’être montrée jusqu’alors si pingre dans ses offres d’indemnisation ?