d’Lëtzebuerger Land : La situation du marché de l’emploi – un taux de chômage de 6,4 pour cent en janvier (derniers chiffres disponibles), qui pourrait monter jusqu’à 7,4 pour cent d’ici 2011 – serait ce qui l’inquiète le plus dans la situation actuelle, affirma le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) la semaine dernière, lorsqu’il annonça le calendrier et le plan de travail du Comité de coordination tripartite, qui se réunira du 17 mars au 27 avril pour préparer un plan de sortie de crise. À côté de l’évolution des finances publiques et de la compétitivité, cette situation est un des trois gros dossiers de ces réunions. Quelles sont vos priorités et solutions ?
Nicolas Schmit : Nous avons commencé plusieurs chantiers, que nous devions attaquer de toute façon, avec ou sans tripartite. Je pense notamment à la réforme de l’Adem (Administration de l’emploi), pour laquelle je ne voulais pas perdre de temps à attendre la tripartite. Puis nous sommes en train de sonder les possibilités de mieux orienter les demandeurs de travail qui arrivent en fin de droits, c’est-à-dire qui vont perdre leurs indemnités. Il y en a un certain nombre qui ont plus de cinquante ans, mais il y a aussi un millier de jeunes de moins de trente ans qui se retrouvent dans cette situation. Ils ont souvent en commun de ne pas avoir de formation du tout, ou alors la mauvaise formation. Nous devons adapter les mesures de réinsertion dont nous disposons, nous le faisons en discussion avec tous les partenaires sociaux et des organes comme le Comité permanent du travail et de l’emploi. Je veux avancer autant que je peux dans ces réformes, surtout celles qui ne demandent pas de légiférer. S’il faut légiférer, nous le ferons. Mais mon train est en marche.
Il est flagrant qu’après chaque réunion du Comité de conjoncture, qui analyse la situation du marché de l’emploi du mois précédent et répond aux demandes en matière de chômage partiel des entreprises (105 des 116 demandes acceptées le 24 février, soit prévisiblement 7 100 salariés en horaire réduit ce mois-ci), vous et votre homologue à l’Économie, Jeannot Krecké, vous appliquez à voir des petits messages positifs, des signes qui indiqueraient qu’il y a une reprise de l’activité économique – par exemple de la création d’emplois. Mais on a du mal à la voir en pratique...
La situation sur le marché du travail est loin d’être maîtrisée. Mais la dégradation n’est plus aussi rapide que ce que nous avons connu dans les mois précédents. Je ne suis pas du genre à vouloir embellir les choses, mais il faut aussi se garder de tomber dans un pessimisme exagéré. Surtout vis-à-vis des jeunes, il est important de ne pas leur transmettre le sentiment qu’ils n’auront aucune chance de construire leur avenir. Si nous voulons qu’ils investissent dans leur formation, il faut leur donner des perspectives. Or, je suis réaliste : si l’on peut dire que la récession est bel et bien terminée, la crise sur le marché de l’emploi n’en est pas encore au bout ; il faut garder un équilibre dans son approche.
Les mesures contre le chômage pour jeunes, mises en place en automne, sont pourtant un échec relatif : il n’y a eu qu’une soixantaine de contrats CIE-EP jusqu’à présent, alors que vous vous attendiez à une véritable « marée » de jeunes demandeurs à la rentrée. Il y a certes eu moins de nouveaux demandeurs que les 2 000 que vous attendiez, mais cela demeure un échec. Comment vous l’expliquez-vous ?
Il faut voir que globalement, nous avons signé quelque 800 contrats avec des jeunes pour un premier emploi, mais seuls une centaine de ces contrats étaient effectivement de ce nouveau type « expérience pratique ». Or, ces mesures ne sont pas terminées, elles restent valides jusqu’à la fin de l’année. Et bien que les entreprises n’aient pas suivi selon nos attentes, il demeure que nous avons mis un accent important sur les jeunes, c’était essentiel. Cela demeure notre plus grand défi : nous devons réussir à activer ces jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi. Nous devons pouvoir offrir à chaque jeune soit un emploi, soit une mesure pour l’emploi, soit une formation qui aide à mieux l’orienter vers les secteurs qui créent des emplois.
Un de vos grands chantiers est la réforme de l’Adem, que vous avez attaquée à bras-le-corps, en ouvrant trois nouvelles antennes régionales à Differdange, Dudelange et Wasserbillig et en recrutant immédiatement une quarantaine de « conseillers professionnels » (ou placeurs) supplémentaires pour accueillir les demandeurs d’emploi et mieux les encadrer. Vous avez des échanges intenses avec l’Adem elle-même pour améliorer ses services et ses structures. Il serait donc possible de commencer à réformer sans attendre que la question de son futur statut – établissement public ou pas – ne soit tranchée ? Quelle est votre stratégie globale pour cette réforme ?
Le statut ne m’intéresse pas vraiment, établissement public ou pas, je ne veux même pas me prononcer là-dessus parce que ce n’est pas une question centrale. Le plus important est d’adapter la structure à la nouvelle situation d’un taux de chômage élevé et aux nouvelles missions qui lui incomberont. Et cette réforme-là, nous l’avons largement entamée : les nouveaux bureaux ouvriront en septembre ; parallèlement, nous sélectionnons les candidats aux postes créés, avec l’aide de professionnels indépendants – des postes pour lesquels nous avons d’ailleurs reçu beaucoup de candidatures. Puis nous faisons des formations avec le personnel, les nouveaux et ceux qui sont déjà en place : nous allons constituer des équipes mixtes. Et nous adaptons l’outil informatique, qui est primordial à l’Adem. Tout ce processus, nous le réalisons avec l’aide du consultant français Bernard Brunhes, qui nous accompagne de manière professionnelle. Mais le temps des audits est terminé, il faut agir maintenant. La réforme est en route, même si tout n’est pas encore visible vers l’extérieur.
Mon objectif est d’arriver à ce que cette « nouvelle Adem » soit en place pour septembre, lorsque les bureaux régionaux ouvriront, dans le cadre de rencontres régionales avec les entreprises. Donc, en un an, j’aurai mis en place un nouvel outil pour gérer le marché de l’emploi. Ce qui m’importe surtout en ce qui concerne l’activation des demandeurs, c’est l’organisation de formations adaptées ainsi que d’une offre valable en matière de formations continues spécifiques plus pointues, à la demande de patrons ou de secteurs entiers à la recherche de main d’œuvre spécialisée.
Puis vous travaillez sur des mesures de reclassement et de réorientation de travailleurs qui perdent leur emploi...
La loi sur le reclassement, concernant donc des travailleurs qui, suite à un accident ou en conséquence du travail qu’ils faisaient, ont une infirmité et ne peuvent plus assurer les charges qu’ils avaient, cette loi sera réformée. J’en ai déjà discuté avec le ministre de la Sécurité sociale. Il y a quelque 2 000 résidents dans cette situation, des personnes, qui, pour un grand nombre, ne sont plus disponibles sur le marché du travail, pour lesquelles on a souvent du mal à trouver un nouvel emploi, faute là encore de formation.
Puis il y a les mesures comme celle que nous venons de lancer, avec l’ABBL (Association des banques et banquiers) et l’IFBL (Institut de formation bancaire) dans le secteur financier : Fit4Job prend en charge des professionnels qui ont perdu leur emploi suite à des restructurations par exemple, et elle les requalifiera en fonction de l’évolution des métiers. Ce genre de mesures pourra éventuellement être élargi à d’autres secteurs.
Pour les chômeurs de longue durée, qui arrivent en fin de droits, et il y en a de plus en plus, nous devons prendre des mesures spécifiques pour augmenter leurs chances de retrouver un emploi dans le secteur privé. Je vais proposer de prolonger le droit aux indemnités de chômage de six mois pour les demandeurs de plus de 45 ans. Et, parallèlement aux mesures pour l’emploi existantes, nous allons créer des « projets d’utilité publique », qui s’apparentent aux « travaux d’intérêt général », avec les administrations, les communes et les initiatives pour l’emploi. Quelque 400 personnes de plus de cinquante ans, donc des personnes qui ont beaucoup de difficultés à se réinsérer sur le marché du travail, pourraient dans une première phase être concernées par ces mesures, qui visent, à terme, la réinsertion sur le marché du travail. Ils retrouveront un emploi et un salaire en effectuant des travaux qui correspondent à de vrais besoins sociaux.
Les syndicats, notamment l’OGB-L, ont déjà tracé des lignes rouges qu’ils ne sont pas prêts à franchir dans le contexte de cette tripartite, elles concernent tout ce qui touche aux droits des salariés – prestations sociales, réduction des salaires... – et surtout l’indexation des salaires. Le président de votre parti, Alex Bodry, a confirmé mercredi à la télévision que l’index était désormais aussi intouchable pour le LSAP. Quelles sont les « lignes rouges » du ministre du Travail ?
Je constate que nous n’avons actuellement pas de problème d’inflation, mais plutôt des problèmes sur le marché du travail ou du côté des finances publiques. L’indexation des salaires me semble donc hors sujet et ne devrait pas constituer un thème de discussion à ce stade.
L’économiste français Lionel Fontagné, qui conseille le ministère de l’Économie luxembourgeois, vient de relancer, il y a un mois, son l’appel à la réduction des indemnités de chômage, pour rendre le travail plus attractif. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas un adepte de la réduction des indemnités. On ne reconduit certainement pas les gens dans le travail en les amenant au bord de la pauvreté. Le chômage est un drame pour les concernés, on ne peut pas en plus leur prendre ce qui leur reste de sécurité pour continuer leur vie. Parce qu’une telle précarisation ne motiverait pas beaucoup à se former et à mieux se qualifier. Ceci dit, nous devons donner une réelle motivation aux gens pour retourner au travail. D’ailleurs, je viens d’avoir un premier échange avec la ministre de la Famille Marie-Josée Jacobs (CSV) sur des pistes à exploiter pour un millier ou 1 500 bénéficiaires du RMG (revenu minimum garanti), qui pourraient être tout à fait aptes à réintégrer le marché du travail.
L’augmentation de l’impôt de solidarité, pour sa part, semble acquise à l’issue de cette tripartite. À quel niveau ?
Il n’y a pas de politique de l’emploi active sans argent. Accueillir, former et orienter les chômeurs demande de l’argent. Mais le chômage en coûte aussi. J’estime donc qu’il est mieux d’investir dans le travail que dans le chômage. Mais pour financer ces mesures, il nous faut trouver des recettes supplémentaires pour alimenter le Fonds pour l’emploi, par exemple en augmentant l’impôt de solidarité et la contribution sociale sur l’essence et le tabac, sur laquelle il y a encore de la marge.
En 2009, nous avons dépensé entre 520 et 540 millions d’euros pour le Fonds pour l’emploi, et cette année, ce sera encore plus, une somme que les recettes actuelles ne couvrent même pas à moitié. Ajuster cet impôt est très équitable, parce tous ceux qui paient des impôts le paient aussi. Mais le niveau de l’adaptation devra être discuté et arrêté dans le cadre de la tripartite. Sachant que dans les années 1984-85, il était de dix pour cent, puis il est tombé à 7,5 pour cent, pour atteindre les 2,5 pour cent actuels pour les ménages (ce qui équivaut à une entrée de 60 millions d’euros par an) et quatre pour cent pour les entreprises (58 millions). Et sachant aussi qu’une augmentation de un pourcent équivaut à 25 millions d’euros de recettes supplémentaires. Donc le calcul de ce qui est nécessaire serait facile à faire.
Votre métier se réduit actuellement souvent à celui d’un pompier, qui cherche à résoudre les crises qui se posent par les fermetures ou restructuration d’entreprises et autres mauvaises nouvelles. Reste-t-il du temps pour esquisser des visions d’avenir ? À gauche du LSAP, Déi Lénk et le KPL par exemple rêvent toujours d’une réduction du temps de travail, un thème qui n’est plus guère abordé ailleurs.
Pour moi, le défi du moyen terme est de réorienter notre économie et notre marché de l’emploi pour qu’ils soient viables. La question est de savoir comment nous pouvons rééquilibrer le secteur financier qui a été un des moteurs de la croissance et de la création d’emploi mais qui est en perte de vitesse, par d’autres secteurs. Il ne faut pas toujours attendre à ce que de grandes sociétés internationales s’implantent au Luxembourg, mais nous devons davantage miser sur les petites et moyennes entreprises, aussi dans des secteurs comme l’artisanat.
Un deuxième sujet d’avenir important est celui de la formation, inséparable de l’emploi. Nous devrons sans cesse développer de nouvelles formations continues, car plus rien ne sera durable à l’ère de la « flexicurité », il faudra réagir rapidement pour adapter les formations à la demande. Vous voyez donc que je ne néglige aucunement les visions à plus long terme, malgré la situation difficile qui règne actuellement sur le marché de l’emploi.