Ils étaient cinq. Peut-être six à un moment. Les Jonk Gréng ont néanmoins protesté avec passion et virulence, un caddie et des pancartes manufacturées devant l’Administration de l’emploi (Adem), rue Bender, mardi après-midi : le projet de loi n° 6068, estiment-ils, n’est qu’un « 5611 reloaded », un pas de plus en direction d’un démantèlement du système social, et ce en plus à l’aide de subventions publiques. Ils voient les instruments temporaires qui seront mis en place pour un an, afin de surmonter les effets de la crise pour les jeunes qui débarquent cet automne sur le marché du travail, comme une dévalorisation des jeunes. Qui sont, selon les jeunes Verts, les principales victimes d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée.
Le même son de cloche émane de La Gauche qui, lors d’une conférence de presse vendredi dernier, ainsi que dans son journal en-ligne, s’insurge contre une loi inacceptable, qui pourrait s’avérer contre-productive, profitant essentiellement au patronat, qui se verra fournir une main d’œuvre hautement qualifiée au rabais, car subventionnée à entre 70 et 115 pour cent du salaire. Le député André Hoffmann voulait introduire des amendements au texte du projet de loi, mais en fait, le parti le rejette dans son ensemble et plaide plutôt pour une redistribution du travail par une réforme en profondeur du système – notamment une réduction du temps de travail à 35, voire 30 heures par semaine, à salaire égal.
L’Unel (Union nationale des étudiants du Luxembourg, de gauche), s’inquiète elle aussi, dans un communiqué publié lundi, des risques « d’érosion du droit du travail, érosion qui se fera au dépens de l’ensemble des travailleurs, jeunes et moins jeunes » et met en garde devant le risque d’abus de la part des employeurs, par exemple un remplacement systématique des départs à la retraite par des contrats jeunes, CIE (Contrat initiation emploi) ou le nouveau CIE-EP (entreprise pratique). Cette crainte d’abus est d’ailleurs récurrente dans nombre d’avis sur le projet de loi. « Je trouve que cette crainte est exagérée, estime pour sa part le député socialiste Roger Negri, rapporteur du projet de loi, vis-à-vis du Land. Il ne faut pas oublier que les différentes primes pour les patrons sont liées à des conditions, notamment d’embaucher le stagiaire après son CIE-EP ». Néanmoins, une obligation d’évaluation des nouvelles mesures après six mois sera inscrite dans le texte de la loi. Une telle évaluation sérieuse des mesures du 5611 fait toujours défaut.
La commission parlementaire du Travail et de l’emploi a adopté le rapport de Roger Negri hier après-midi, à l’heure où nous mettions sous presse. En principe, le projet de loi sera adopté en séance plénière mardi prochain, 27 octobre. Il le sera au moins avec les voix de la majorité CSV-LSAP, les Verts ont annoncé qu’ils voteront contre, le DP et l’ADR ne se sont guère engagés dans ce débat. Le texte aura alors mis un mois pour passer toutes les instances institutionnelles, chambres professionnelles et deux avis du Conseil d’État inclus. Le ministre du Travail Nicolas Schmit avait invoqué l’urgence de la crise pour pouvoir disposer rapidement d’instruments pour aider les jeunes diplômés qui arriveraient sur le marché après la fin des cours (et des vacances). « L’idée d’une ‘génération sacrifiée’ est une perspective que je ne peux pas accepter », avait déclaré le ministre lors de la présentation de son projet.
Ce projet de loi élargit les mesures introduites par la loi de décembre 2006 – et qui avait expressément limité les anciennes formules d’auxiliaires temporaires auprès de l’État et dans le secteur para-étatique aux jeunes sans qualification – aux jeunes diplômés. Ces CAE (contrats appui-emploi) seront désormais flanqués d’une obligation de formation du jeune, de l’ordre de seize heures par mois. Les CIE, contrats en entreprise privée, qui avaient été fortement réduits dans le temps en 2006, seront prolongés à 24 mois. En août 2009 (derniers chiffres de l’Adem disponibles), le nombre de CAE se situait à 175 ; il avait atteint 202 contrats en juin. Les CIE par contre sont en baisse, 366 contrats en août, contre 493 un an plus tôt.Le nouvel instrument du CIE-EP est réservé aux jeunes diplômés, ayant au moins un diplôme de fin d’études secondaires en poche, et qui, en temps normal, décrocheraient vite un premier emploi, selon le ministre. Administrativement plus léger, le CIE-EP doit se conclure directement entre le jeune et son employeur, sans obligatoirement passer par l’entremise de l’Adem. Son objectif est de permettre au demandeur d’emploi d’acquérir en six mois minimum et 24 mois maximum, une première expérience professionnelle après ses études, expérience pratique qui manquerait souvent aux jeunes, selon les employeurs. Le jeune touchera entre 120 et 150 pour cent du salaire social minimum comme travailleur non qualifié, soit entre 2 000 et 2 500 euros, un niveau de salaire que la Chambre des salariés salue expressément dans son avis. Le patron se verra rembourser quarante pour cent de cette indemnité. Plus, le cas échéant, une prime unique de trente pour cent de l’indemnité touchée par le jeune, en cas d’embauche définitive.
Ce sont probablement ces sommes déboursées par l’État, aussi bien en faveur des employeurs que des employés, qui ont contribué au consensus assez large pour ce projet de loi, dont même le Conseil d’État reconnaît l’intérêt et « son esprit novateur ». L’Union des entreprises (UEL) avait affirmé dès septembre qu’elle soutenait l’initiative du gouvernement, d’autant plus qu’une telle mesure avait fait partie de ses 100 mesures pour redresser la compétitivité et relancer l’activité économique. Elle encourage ses membres à participer à l’initiative en se déclarant prêts à accueillir de jeunes stagiaires.
Les mesures mises en place par cette loi seront financées par le Fonds pour l’emploi et sa durée limitée dans le temps, elles expireront fin décembre 2010. Cette limitation dans le temps est encore un point qui différencie ce projet de loi de celui de François Biltgen il y a trois ans. À l’époque, plusieurs milliers de jeunes avaient défilé contre la réforme 5611, se sentant dévalorisés et craignant leur exclusion du marché du travail. Ce texte-là, comme celui-ci, avait émané du Comité de consultation tripartite au printemps. Mais cette fois, le titulaire du portefeuille a changé et Nicolas Schmit a tenu à associer aussi bien le patronat que les syndicats au processus d’élaboration du projet. Donc, là où les Jeunesses socialistes s’offusquaient encore en novembre 2006 de « l’absence totale d’un concept du ministre du Travail pour remédier aux véritables causes du chômage des jeunes » et regrettèrent « de devoir constater que le ministre Biltgen continue à s’incliner face aux revendications du patronat », elles sont cette fois enthousiastes et reprochent aux Jeunes Verts de manquer de solidarité. Le CSJ, les jeunes du CSV, avait précipitamment applaudi l’initiative du gouvernement, début octobre déjà.
En réalité, les premières expériences du bureau Anelo, route d’Esch, précurseur de la nouvelle approche pro-active voulue par le gouvernement (d’Land, 11 septembre 2009), accueillant et informant en un premier temps les jeunes, avant que la loi leur permette aussi de les mettre en contact avec les entreprises, seraient plutôt mitigées, l’intérêt assez limité, selon Pierre Schloesser de l’Adem (Revue, 21 octobre). En outre, les derniers chiffres, du mois d’août, prouvent que, si quelque 29 pour cent des demandeurs inscrits à l’Adem ont moins de trente ans (3 700 personnes), leur part n’augmente pas plus rapidement que le taux global. La panique qui s’annonçait dès le printemps, lorsque les syndicats disaient craindre l’arrivée de 2 000 jeunes diplômés sur le marché du travail en septembre, s’est estompée. Pour Nicolas Schmit, la gestion du dossier fut un premier saut périlleux, qu’il semble avoir réussi. Prochain rendez-vous : la réforme de l’Adem.
Le titre est emprunté au nouveau roman de Douglas Coupland, qui a également popularisé le terme Génération X par son roman éponyme, paru en 1991.