La justice luxembourgeoise hésite à trancher le cas d’un cadre dirigeant de l’ex-banque Kaupthing (aujourd’hui Banque Havilland), accusé par son employeur d’avoir pris des documents tombant sous le secret pour les utiliser contre lui dans un conflit du travail et faire ainsi la démonstration de la faute de l’employeur. Relaxé en première instance le 26 juin 2012 (d’Land du 17.08.2012), le tribunal correctionnel ayant décidé que « les droits de la défense du salarié doivent primer le droit au respect de la propriété de l’employeur », même s’il s’agit de documents relevant du secret professionnel, l’ancien responsable des risques attendait le 20 mars dernier la décision de la Cour d’appel, Havilland ayant introduit un recours.
Mais le jour du prononcé, coup de théâtre : les juges prononcent une rupture de délibéré à la suite d’un nouvel élément dans le dossier, la banque ayant insinué dans une note de plaidoirie que le cadre se serait maintenu illégalement dans ses serveurs et qu’il aurait obtenu des documents, notamment des rapports confidentiels sur des crédits octroyés à des gros clients et actionnaires, pièces qui furent publiées sur le site wikileaks. L’employé aurait pu consulter les documents wikileaks avant leur diffusion sur le site, ce qui en droit, pourrait lui valoir une condamnation non seulement pour hacking, mais aussi pour blanchiment. La rupture de délibéré permettra aux différentes parties de prendre position sur ces points. L’ex-responsable des crédits juge ces accusations présentées fantaisistes et calomnieuses. Et la procédure traîne en longueur. Les questions soulevées en seconde instance sont loin d’être anodines pour délimiter d’abord si le « vol d’usage » de documents, le temps de les photocopier (ça pourrait être aussi le temps de les télécharger), est susceptible d’être ou non incriminé en droit luxembourgeois.
Or, si la loi (1977) est limpide pour ceux qui « empruntent » une voiture ou un vélo à l’insu de leur propriétaire, elle serait équivoque pour tous les autres cas. Du coup, et comme la question du vol de fichiers informatiques ou de documents revêt une actualité particulièrement cuisante, le Parquet général, à travers une note rédigée par le premier avocat général John Petry, a livré une analyse pour déterminer « si le vol d’usage de documents pendant le temps nécessaire de les photocopier est susceptible d’être incriminé en droit luxembourgeois ». Deux affaires, dont celle de Kaupthing, sont en cours devant la juridiction d’appel.
Dans une note de dix pages de John Petry, du 17 décembre 2012 que le Land s’est procurée, le magistrat estime qu’en dépit des « errements » du législateur luxembourgeois en 1977 sur les vols de bicyclettes et d’autos, rien n’empêche les juges « de tirer les conséquences de la notion inchangée de soustraction frauduleuse ». Aussi, « le fait, par un salarié, de s’emparer de documents mis à sa disposition par son employeur (…), en vue de les photocopier, est constitutif d’un vol, et comme le vol a été commis par un ‘homme de service à gage’, d’un vol domestique ». Ça ne résout pas pour autant l’affaire Kaupthing.