Elle se dirige d’un pas ferme vers son petit jardin potager au fond de la cour. « Ici, tous les produits sont bio, explique Florentina Ciutureanu. Ce n’est pas comme en Occident où les légumes et les fruits n’ont plus de goût. » Cette paysanne roumaine d’une cinquantaine d’année est très fière de son petit jardin qu’elle cultive avec des engrais naturels. Bien qu’elle mène une vie très modeste et ne connaisse pas grand-chose à la politique, elle est bien informée. Dans le village de Barca, situé au sud de la Roumanie, on l’appelle « Madame Internet ». Dans sa petite maison un vieil ordinateur lui donne accès à la toile et lui ouvre le monde entier. C’est grâce au Web qu’elle suit les débats de plus en plus vifs sur la migration des Roumains en Europe de l’Ouest.
En Allemagne, en France, en Italie ou en Espagne le spectre d’un tsunami migratoire en provenance de Roumanie chauffe les esprits. À partir de 2014, tous les pays de l’Union européenne (UE) devront supprimer les restrictions imposées à la Roumanie et à la Bulgarie. C’est surtout en Grande-Bretagne qu’un éventuel déferlement de Roumains sur le marché du travail fait peur. Au point qu’au mois de février les autorités britanniques avaient envisagé une campagne pour décourager les Roumains de se rendre sur les bords de la Tamise. « Ne venez pas en Grande-Bretagne. Il pleut, il y a peu d’emplois et ils sont mal payés. » C’est avec ce message que les autorités de Londres espéraient dissuader les Roumains de prendre la route vers l’Angleterre. « Je crois que les Britanniques ne nous connaissent pas, affirme Florentina Ciutureanu. Je ne sais pas comment ils peuvent avoir une si mauvaise image de la Roumanie, mais ils se trompent. Ils feraient bien de venir en Roumanie et de découvrir ce qu’on peut leur offrir. »
La frilosité anglaise a aussitôt mis les esprits en ébullition au bord du Dambovitza, la rivière qui traverse Bucarest, la capitale roumaine. Interpellé par la campagne médiatique britannique, le quotidien roumain Gandul (« La Pensée ») a lancé en mars dernier une contre-offensive. La philosophie de celle-ci se résume en une phrase : « Si vous ne voulez pas de nous, nous voulons bien de vous. » Un site a été créé, whydontyoucomeover.gandul.info, qui invite les Britanniques à venir en Roumanie et est instantanément devenu un viral sur Internet. À leur tour les Roumains ont adressé aux Anglais plusieurs slogans censés les persuader qu’une virée dans les Carpates ne serait pas une mauvaise idée. Quelques exemples : « Notre bière est moins chère que votre eau plate », « La moitié de nos femmes ressemblent à Kate, l’autre moitié à sa sœur », ou bien « Nous parlons mieux l’anglais que dans n’importe quel coin de France ».
Humour, ironie et auto-ironie ont leurs racines dans le pays de Tristan Tzara. « Nous attaquons non seulement les préjugés des Britanniques, mais aussi des stéréotypes profondément roumains, explique Claudiu Pandaru, le directeur du journal La Pensée. On le fait avec un humour britannique, mais derrière l’humour se cache un message sérieux : nous ne sommes pas Européens à moitié, la Roumanie n’est pas un pays du Tiers Monde, et nous en avons assez d’être traités comme des citoyens européens second hand ». La petite guerre médiatique a rapidement dépassé les slogans. Les Roumains proposent également aux Britanniques de les héberger et vont même jusqu’à leur proposer des emplois. « J’ai mis ma maison à la disposition des Britanniques qui veulent nous connaître, lance Florentina Ciutureanu, qui fait partie de ces quelques centaines de Roumains disposés à héberger gratuitement des Européens de l’Ouest. Quand ils vont voir nos paysages et goûter à nos repas, ils vont changer d’idée.
De plus en plus de Roumains adhèrent à cette campagne et proposent qui un canapé, qui un studio, qui une maison pour accueillir les Anglais désireux de découvrir le pays de Dracula. Plusieurs sociétés offrent des emplois bien payés pour appâter les chômeurs britanniques. L’affaire est gérée de façon professionnelle avec l’appui d’une société de publicité dirigée par une poignée de jeunes très imaginatifs. « Nous allons mettre sur Internet les lits et les canapés du village de Viscri où le prince Charles a acheté une maison en 2005, promet le jeune publicitaire Mihai Gongu. Il s’y rend d’ailleurs très souvent. Nous allons dire aux Britanniques : « Si vous voulez être voisins du prince Charles, venez en Roumanie, à Londres c’est plus compliqué. »
En effet, c’est en Roumanie où il a acheté plusieurs maisons, que l’héritier de la couronne britannique vient se ressourcer. Et ce n’est pas un hasard car un peu de sang roumain coule dans les veines du prince de Galles. « Mon arbre généalogique montre que je suis le descendant de Vlad l’Empaleur, j’ai donc des liens avec la Roumanie », a-t-il déclaré dans un documentaire diffusé sur une chaîne britannique. Le prince Charles n’hésite pas à avouer ses liens de sang avec le voïvode roumain, censé être l’ancêtre de Dracula, qui a vécu au XVe siècle. Reste à savoir si ses sujets le suivront dans les terres du vampire.