Relancer le financement à long terme des infrastructures permettrait de garantir plus de croissance et d’emploi. Mais comment drainer vers des durées plus longues l’épargne européenne qui se cantonne dans le court terme avec le climat économique morose depuis la crise financière ?
Pour trouver des solutions pertinentes la Commission a publié, le 25 mars, une consultation des parties prenantes de trois mois, sous la forme d’un Livre vert. Elle y propose différentes solutions pour attirer l’épargne en vue de financer des investissements dans des infrastructures énergétiques, de transports ou de communication, dans des infrastructures industrielles ou de services, des technologies liées au changement climatique ou à l’éco-innovation, ou encore dans l’éducation, la recherche et le développement. L’objectif est tant d’accroître l’offre de financement à long terme que de diversifier le système d’intermédiation financière pour les investissements à long terme en vue de limiter la dépendance vis-à-vis du secteur financier.
La situation n’est pas désespérée, note le Livre vert, car malgré la crise, le taux d’investissement et le taux d’épargne en Europe correspondent à environ 20 pour cent du PIB européen : « Un chiffre plutôt bon par rapport à d’autres régions », souligne un expert de la Commission. Le hic est que « depuis la crise, le secteur financier en Europe n’a plus la même capacité à acheminer l’épargne vers le financement à long terme », a expliqué le commissaire au Marché intérieur, Michel Barnier. Il faut en finir, selon lui, avec le « short termisme ». « Il est temps de mettre l’accent sur le capital productif. Ces investissements sont essentiels pour l’innovation et la compétitivité » a-t-il ajouté.
Le Livre vert balaye les possibilités de réorienter le système financier européen pour que l’offre rencontre la demande. Mais il faut s’interroger sur la dépendance en Europe traditionnellement élevée à l’égard de l’intermédiation bancaire pour le financement long terme, qui pourrait se voir remplacée par un système laissant davantage de place au financement direct par les marchés de capitaux (c’est-à-dire au financement obligataire), et à l’intervention des institutionnels (par exemple des fonds de pension, des assurances) et des marchés financiers alternatifs.
Le secteur bancaire européen finance en effet environ 75 pour cent de l’économie européenne à la différence des États-Unis où ce financement est assuré principalement par les marchés financiers (financement obligataire). Il faudrait renverser la vapeur en quelque sorte pour que la part des marchés augmente, selon le commissaire Michel Barnier. Il s’agit, entre autres, de favoriser l’accès des acteurs de l’économie aux financements obligataires et les investisseurs institutionnels, et donc de diminuer la dépendance des agents économiques aux banques. Pour autant, Michel Barnier ne « va pas fixer un objectif sur le rééquilibrage entre les deux sources de financement. Cependant, on peut sensiblement aller au-delà des 25 pour cent » pour la part des marchés.
Pour ce faire, des réformes sont en cours comme celle portant sur les instruments des marchés financiers dite « MiFID/MiFIR », mais l’exécutif européen envisage d’autres voies, notamment l’utilisation des marchés de la titrisation. La titrisation permet aux banques de céder un portefeuille de créances – comme des prêts – à une société ad hoc qui va le convertir en titres financiers qui seront émis sur les marchés des capitaux. À l’origine du financement des prêts immobiliers risqués (subprimes) aux États-Unis, et donc de la crise financière mondiale, la titrisation appelle donc à la plus grande prudence. « Nous pensons qu’une titrisation saine et responsable doit jouer un rôle, notamment pour financer de façon efficace l’économie européenne », explique une source européenne. Néanmoins, la Commission ne prévoit pas de nouvelle réglementation dans ce domaine. Elle s’en tient à offrir davantage de soutien aux initiatives privées visant à établir des titres sûrs et transparents et soumis à la surveillance.
Sont aussi abordés dans le Livre vert d’autres facteurs peuvant avoir un impact sur l’orientation des financements (court terme/ long terme), comme la fiscalité qui devrait encourager cette épargne long terme. La comptabilité « à la juste valeur » (la fair value), un concept utilisé dans les normes comptables internationales, les IFRS (International Financial Reporting Standards), appliquées aussi par l’UE, est également évoquée. Mais la Commission semble réservée sur cette approche qui ne lui semble pas inciter à développer l’investissement à long terme.
En fonction des réponses obtenues, Bruxelles définira les mesures, de nature législative ou non à prendre de manière à encourager cette réallocation de l’épargne dans l’UE.