On peut se réfugier dans une tente et s’y replier. Oublier ce monde qui nous tente. Voici deux mots, qui s’écrivent de la même manière, comme Mirage Mirage, le titre de l’exposition de Marianne Villière.
L’espace de secours, ultime et solitaire (on ne pense pas qu’on puisse s’y glisser à deux), se trouve au premier étage de la Galerie Dominique Lang. L’Abri de survie, créé en 2012, l’année de son diplôme à l’ENSA de Nancy, est en matière isolante réfléchissante. En montant l’escalier, on ne pourra pas échapper à un autre objet brillant (daté de 2018). Une boule à facettes comme on en trouve au-dessus des parterres de danse. Cette pièce s’appelle Disco-Drone.
La jeune artiste, née en 1989 à Nancy, ne nous propose pas, malgré les apparences, de voir un travail littéral, contredisant le réalisme de ses installations comme le salon Sitcom Laugh. Plutôt que de regarder l’écran, elle nous invite à mieux regarder tout court. La boule à facette est tenue en l’air par un drone, comme si le symbole festif allait nous tomber dessus telle une arme. De la taille d’un jouet, il est furtif comme l’avion de chasse dénommé « Mirage », si rapide que le temps de l’apercevoir dans le ciel, de s’émerveiller de son passage, il a déjà disparu.
Marianne Villière retourne ainsi l’esthétique de ses installations. Dès l’entrée, une coquille amène à penser à un bénitier, dans lequel on trempe ses doigts pour se purifier. Son Bénitier est rempli non pas d’eau transparente, mais de billes de plastique jaunes. Une couleur d’alerte, puisque ce n’est pas la mer que l’on entend dans le coquillage posé à côté, mais le bruit des billes de plastique remuées, comme si on touillait dans l’océan asphyxiant de plastiques.
Mirage Mirage, est toute de cette veine. Ainsi d’Épouvantails vêtus de t-shirts sérigraphiés d’oiseaux en voie de disparition. On se surprend à murmurer la comptine Alouette, gentille alouette comme dans l’œuvre qui suit, une vidéo tournée en 2019 : une fanfare attire dans un quartier lambda mais, en guise d’aubade, Marianne Villière leurre le public accouru. Cet attroupement filmé deviendra-t-il le souvenir même du petit volatile en voie de disparition ?
En exposant à la galerie Dominique Lang et en faisant travailler cette jeune artiste in situ, Marlène Kreins a choisi une représentante de la jeune génération d’artistes pour laquelle l’art est un lanceur d’alerte plus qu’une fin en soi. C’est ainsi que l’on pourra repartir avec un exemplaire des Essentiels, conçu sur le modèle du journal gratuit que l’on lit le matin en prenant le train. Il a dû en surprendre plus d’un la veille du vernissage, glissé dans le distributeur de la gare Dudelange-Ville. Les articles disent les attentes de pigistes d’un jour que Marianne Villière a sollicités. C’est une invitation sur un autre Chemin du désir, comme cette nouvelle ligne de pierres phosphorescentes qui croise les rails devant la gare, la nuit.
Gilles Pegel expose en parallèle à la galerie Nei Liicht, également jusqu’au 18 octobre prochain. Le travail de Pegel (né en 1981 à Esch-sur-Alzette, diplômé de l’Erg à Bruxelles), est certes en soi, plus esthétique car plus abouti que celui de Marianne Villière, mais il s’agit assurément d’une première couche apparente seulement, qu’il a franchie lui-même, en devenant « artiste à plein temps » depuis 2010.
Si on connaît le travail de Gilles Pegel, on retrouvera la maquette spiralée du liseron qui étouffe sa plante hôte et les miroirs en disques durs. Mais regardons avec recul les versions customisées chics, recouvertes de matière noble, chrome et aluminium, que Pegel a réalisées pour l’occasion. On se sera arrêté dès le haut de l’escalier, là où débute l’exposition, devant deux petits tableaux que l’on peut appeler le manifeste de Disorganized Info-Dump. Réalisé durant le lock down, The Beginning and The End, se compose de deux feuilles de papier toilette que Gilles Pegel a fait se consumer. De blanc, les feuilles de papier sont devenues noires de cendre.
Rien ne sert de stocker des utilitaires ou des données immatérielles, seul l’artiste peut copier/coller... et ennoblir. L’inclusion et la réparation avec des matériaux nobles magnifie la valeur artisanale du travail de Pegel. À la manière japonaise du Kintsugi. Non pas qu’il répare la rayure qui rend illisible le disque dur Sectors # 1, mais en recourant à l’or, il colmate la menace de vol de nos données personnelles.
Dans ses propositions les plus récentes, Gilles Pegel, ne se contente pas de donner une autre vie aux autoroutes de l’informatique. Des morceaux d’asphalte récupérés ont été trempés dans un bain d’Époxy contenant des éclats d’or et d’argent. This is fine (2019), trône comme une statue sur un socle, ici, des trépieds de géomètre. Trois jambes rouges, qui certes mettent en valeur le noir brillant du bitume, mais fragiles comme des béquilles. Plus loin, la lumière elle-même fait art dans la série Timesink. Les rayons du soleil ont lentement mangé la couleur du tissu, au cours d’une exposition sur le temps long, a contrario de la technologie qui a la vitesse de l’éclair. C’est ainsi, aussi, que l’on a interprété A day lasts 60 minutes, une vidéo où une planète (mais en est-ce bien une ?) tourne si lentement que l’on perçoit à peine sa rotation. Si la dimension monumentale est en soi une consécration par la taille de l’image projetée, la réalité est que Pegel a filmé une toute petite balle perdue en acier, mangée par la rouille...