C’est décidément la guerre entre le Commissariat aux assurances et les entreprises de courtage. Le premier point de friction porte sur le projet de loi sur les professionnels du secteur des assurances (PSA), que les courtiers jugent trop contraignant par rapport aux devoirs et obligations imposés aux agents d’assurances. La seconde source de conflit concerne les taxes que le régulateur prélève sur les entreprises tombant sous sa surveillance. La taxe a augmenté de 333 pour cent pour les courtiers à partir de janvier 2012 (avec effet rétroactif), de loin la progression la plus importante. Un petit courtier a donc pris son bâton de pèlerin contre une taxe qu’il juge disproportionnée par rapport aux frais de surveillance engendrés par la catégorie professionnelle qu’il représente. Il attaque tant sur le fond que sur sa forme devant le tribunal administratif tout le règlement grand-ducal du 21 juillet 2012 ayant fait passer la hausse des prélèvements. Soit la juridiction va annuler l’intégralité du texte adopté en urgence, soit sa décision se limitera au seul volet relatif aux courtiers. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’autorité déjà mise à rude épreuve, notamment pour sa responsabilité dans le naufrage de la compagnie Excell Life.
Quoi qu’il en soit, l’argumentation développée devant le Tribunal ne manque pas de pertinence. Le gouvernement devra d’abord justifier pourquoi le règlement fut adopté selon la procédure d’urgence pour fixer le niveau des contributions des taxes au budget du Commissariat aux assurances. Le régulateur peut-il être autorisé à invoquer l’urgence pour la fixation de ses propres ressources ? N’y a-t-il pas eu recours abusif à la procédure d’urgence qui permet d’échapper au contrôle du Conseil d’État pour masquer en réalité le retard que le CAA avait pris dans la préparation de son budget ? Faux, argumentent les autorités, en mettant en avant dans la procédure des chiffres dont personne n’aurait pu obtenir autrement la communication : le 15 décembre, le Conseil du CAA présenta un projet de budget 2012 déficitaire de 1,462 million d’euros en l’absence d’un relèvement des taxes, après une perte de 448 634 euros en 2011 et de 172 411 en 2010. Selon les simulations de la direction du Commissariat, le déficit devait se creuser jusqu’à 1,9 million en 2014 et 2,3 millions en 2015 si rien n’était fait pour redresser la barre. Il fallait donc éviter une troisième année consécutive de déficit des comptes du CAA, qui de plus, voulait acheter l’immeuble qu’il occupe au 7 boulevard Royal. Mais sans toucher à ses fonds propres. Tout militait donc pour une hausse des taxes. D’autant que la vente de l’immeuble se fit sans le Commissariat, qui sera alors confronté à un nouveau propriétaire dont le premier geste fut de résilier son bail pour avril 2012 avant de le renogocier. Il fallait trouver au plus vite une « solution de rechange » qui allait avoir une influence déterminante sur les frais de fonctionnement du régulateur du secteur des assurances. La revalorisation des taxes devenait ainsi urgente, selon le gouvernement. Cela dit, la gestion des ressources internes du CAA, ses ambitions foncières, peuvent-elles justifier le recours à la procédure d’urgence ? Les juges administratifs trancheront.
Autre argument invoqué par le courtier dans son recours : l’assujettissement arbitraire des différentes catégories de professionnels. Aussi peut-on se demander pourquoi l’agrément des dirigeants d’entreprises d’assurance n’est pas soumis à une taxe, alors que ceux des dirigeants de réassurance ou des sociétés de courtage le sont. Quelle en est la justification rationnelle, alors que le régulateur supporte au moins autant de frais, aux yeux du plaignant, pour le contrôle des exigences professionnelles des uns et des autres ? Les deux catégories de professionnels ne sont pas dans une situation identique ou similaire, ni en droit ni en fait, avancent pour leur part les autorités pour justifier la différence de traitement. Le courtier met également en avant la répartition inéquitable des contributions : un courtier employant trois courtiers agissant comme personnes physiques paiera une taxe annuelle de 8 000 euros, taxe disproportionnée eut égard aux contrôles opérés par la CAA, alors qu’une succursale de gros assureurs, tels P&V Assurances, Chartis Europe Ltd ou Allianz Insurance Luxembourg, devra seulement acquitter une taxe de 5 000 euros par an.
L’affaire devant la juridiction administrative va en tout cas permettre le lancer le débat sur les frais de fonctionnement des régulateurs et la notion de frais réellement exposés pour déterminer la participation de certaines catégories de professionnels, comme les courtiers, par rapport à d’autres, et dire si les uns ne bénéficient pas d’un avantage concurrentiel sur les autres. L’exercice n’a rien d’évident. Car le Commissariat, qui est un établissement public autonome, n’est pas tenu par la loi à une comptabilité analytique qui permettrait de déterminer qui paie quoi pour quel service. Il n’en reste pas moins que le CAA, en élaborant ses taxes, assure avoir tenu compte des frais engendrés par l’affectation des ressources humaines et matérielles aux différentes catégories d’assujettis. Le régulateur pourrait d’ailleurs être amené par les juges à rendre ces modes de calcul publics. Reste encore un problème de fond soulevé par ce recours et qui suscite un certain malaise : les courtiers, professionnels peu appréciés du régulateur luxembourgeois, sont-ils davantage contrôlés que les autres professionnels de l’assurance ? Il y a eu 52 contrôles sur place des sociétés de courtage depuis 2010, sur les 130 qui sont répertoriées sur la place financière.Ça fait beaucoup par rapport aux contrôles effectués sur les assureurs et ce serait bien la preuve, selon le plaignant, d’une concentration exagérée des ressources du CAA (et donc le niveau de la taxe annuelle) sur la surveillance d’une certaine catégorie d’opérateurs, en l’occurrence les courtiers, par rapport aux risques qu’ils représentent pour les consommateurs de produits d’assurance.