Contrairement à ce qu’avançait Le Journal du Dimanche dans son édition du 20 janvier, information relayée ensuite par la presse luxembourgeoise sans la moindre vérification, ce n’est pas la première fois qu’un tribunal luxembourgeois condamne une banque de la Place à indemniser une victime de l’escroc américain Bernard Madoff. Le jugement qui est tombé le 29 novembre 2012 obligeant la Banque internationale à Luxembourg (anciennement Dexia Bil) à verser 75 000 euros à une pianiste-concertiste française qui avait investi une partie de ses économies (250 000 euros) dans des fonds alternatifs Alphamax et Rafale (la Bil était aussi dépositaire de ces fonds et donc encaissait à ce titre des commissions), n’a donc pas provoqué d’enthousiasme débordant de la part des avocats des victimes de Madoff au Luxembourg. « Le jugement du 29 novembre n’est pas vraiment intéressant, ni nouveau », explique l’un d’eux au Land. Par ailleurs, cette décision n’est pas présentée comme une victoire par la victime elle-même qui, dans une communication au Land, se déclare extrêmement frustrée par ce jugement : « Dans ma logique, écrit-elle, si j’entame un procès, c’est évidemment pour récupérer ce que j’ai perdu, et si je gagne ce procès, c’est pour obtenir de fait la restitution de ce dont j’ai été spoliée. La demande en annulation de l’ordre d’achat n’a pas été validée par le Tribunal ». Car dans l’affaire, Bil, qui avait vanté les fonds comme des investissements conventionnels, apparaît comme « commissionnaire » vis-à-vis de sa cliente et non pas « partie contractante », les titres Rafale ou Alphamax n’ayant jamais été transférés dans le patrimoine de la banque, qui échappe ainsi à ses responsabilités. Aussi, pas question d’opposer à l’établissement financier, « partie non contractante, la nullité du contrat pour vice de consentement ». « À l’évidence, souligne amèrement la victime, je sens qu’à vouloir ménager les institutions bancaires telles que Dexia, le tribunal donne implicitement raison au système lui-même, en évitant de se le mettre à dos ».
La pianiste brûle d’envie de faire appel du jugement du 29 novembre (il n’y avait pas eu de recours dans les précédents jugements), mais hésite à le faire, après quatre ans de procédure coûteuse, compte tenu du risque que la Cour d’appel l’invalide ou ne fasse que le confirmer, ainsi que des délais de procédure ; la banque dans sa défense en première instance ayant demandé systématiquement des délais supplémentaires. Sur ce point, il n’y a pas de raison que la défense change sa stratégie. La victime devra donc se contenter, sur la base d’« une perte de chance », d’une indemnisation correspondant à trente pour cent du montant qu’elle a investi à son insu et sur recommandation de sa banque, et alors que son profil de risque était conservateur, dans des produits aussi toxiques que spéculatifs. C’est là tout le cynisme de ce jugement et c’est peu cher payé. Car Dexia a déjà indemnisé certains de ses anciens clients, selon des critères prétendument « objectifs » entre vingt et 80 pour cent de leurs investissements perdus après la faillite fin 2008 de Bernard Madoff.
Les défaillances de la banque lorsqu’elle a vendu des fonds alternatifs « madoffés » relevant d’ailleurs de la législation des îles vierges britanniques à sa cliente ne font pourtant aucun doute pour le tribunal : il aurait appartenu, notent les juges, de communiquer sur les conséquences d’un investissement (en principe réservé à des investisseurs avertis et pour une souscription minimale d’un million d’euros) dans une législation offshore, non soumise, selon les normes de la CSSF, à une « surveillance permanente », « notamment quant à l’étendue de sa responsabilité en tant que dépositaire du fonds qu’elle estime, d’après ses dernières conclusions se limiter à la conservation des actifs et ne pas s’étendre à la surveillance des activités de la société de gestion au vu de l’inapplicabilité à ces fonds de la loi luxembourgeoise du 20 décembre 2002 ». En gros, on met du fonds alternatif exotique dans le portefeuille de ses clients et on échappe aux obligations prévues par la loi luxembourgeoise, (mauvaise) transposition de la réglementation européenne.
Pour avoir failli à son obligation d’information, la banque a vu sa responsabilité engagée. Pour autant, elle a été condamnée à indemniser sa clientèle « sur base d’une simple perte de chance de ne pas investir dans un autre placement ». À ne pas confondre, précise le jugement, avec le montant nominal de l’investissement réalisé sur base de l’information incomplète » (ce qui est le cas notamment dans l’assurance-vie, où les indemnisations posent moins de problèmes). La Bil s’en sort donc plutôt bien et les petits investisseurs, comme souvent au Luxembourg, en font les frais. Pour avoir été privée de la possibilité d’exercer un « arbitrage éclairé » du placement de ses économies, la victime a donc droit à un forfait correspondant à trente pour cent de son préjudice. Un taux identique à ce qu’avaient touché (trente pour cent de leurs mises de fonds) un indépendant de Rumelange-les-Thionville ainsi qu’une société civile immobilière domiciliée à Nice suite à deux jugements datés du 19 octobre 2011. Il n’y a pas eu de revirement de la justice luxembourgeoise depuis lors. Les victimes Madoff attendent donc toujours qu’elle les étonne.
Michèle Sinner
Kategorien: Die Union, Finanzplatz
Ausgabe: 11.01.2013