La présence du duo politique féminin Mady Delvaux-Stehres (ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, LSAP) et Octavie Modert (ministre de la Culture, CSV) lors de la conférence de presse de présentation, la semaine dernière, a attiré une couverture médiatique sans précédant sur la deuxième édition du projet ID. Une fois digéré le discours officiel, les journalistes du monde de la télévision, de la radio et de la presse écrite se sont glissés dans les coulisses du Traffo pour devenir les témoins silencieux de la scène du bal masqué et de la scène du balcon, issue de Roméo [&] Juliette de Shakespeare, qui fût la prémisse de départ pour ce projet gargantuesque dans lequel une centaine de jeunes s’expriment dans un large éventail des arts de la scène, allant du théâtre au chant choral, en passant par la danse, le rap et le cirque. Suite à quoi les caméras et les micros furent braqués sur la bande d’adolescents, qui, tels des stars en devenir, ont répondu aux questions des intervieweurs avec une nonchalance propre à l’enfance.
Après l’édition de 2010, qui était basée sur une histoire inventée de toutes pièces par les jeunes avec les pédagogues et enseignants qui les encadraient, le but de cette nouvelle édition était de partir d’une pièce existante, en la réadaptant à un contexte contemporain tout en lui conférant une dimension de spectacle à part entière en la rehaussant de pratiques artistiques peu vues au grand-duché, comme le chant choral, grâce à la participation de l’Inecc (Institut européen de chant choral Luxembourg) ainsi qu’une introduction dans le monde circacien par Jorge Pinto, pédagogue de cirque et clown diplômé.
Milla Trausch, pédagogue de théâtre, a encadré, avec son équipe d’artistes professionnels et les enseignants des trois lycées concernés (le Lycée technique de Bonnevoie, le Lycée technique du Centre et le Lycée Nic Biever), ce fourmillement d’énergies créatives et anarchiques pour que le tout se coordonne dans une boule de nerfs organisée et cohérente. Pendant la répétition, le danseur Sven Soares a du intervenir à plusieurs reprises pour fignoler les mouvements de ses jeunes talents. Corbi, du duo de rap De Läb, a du remplacer un des jeunes et s’est vu rapper aux côtés d’un garçon qu’il a formé ensemble avec David Galassi pour leur Botter Rap sentimental et narratif. Quant à Milla Trausch, elle a revêtu la casquette du souffleur de Juliette à un moment.
Au final, ce n’est pas tant la perfection artistique qui était recherchée pendant cette répétition semi-publique, mais plutôt une présentation dynamique d’une recherche comme on en voit trop rarement au Luxembourg. L’élément-clé de cette rencontre entre la presse et les artistes fût cette légèreté et cette spontanéité dans laquelle la jeune équipe créative a encadré les adolescents, qui est trop souvent absente dans les projets culturels dits sérieux du grand-duché. Avec la passion comme fil conducteur, ces jeunes d’origines et de cultures diamétralement opposées sont arrivés à mener à bien le projet ID une deuxième fois, et à créer par ce biais une identité collective qui se respecte dans la richesse de sa diversité et de sa pluridisciplinarité artistique qui est une image du patchwork de l’immigration que représente le Luxembourg contemporain.
Le parti pris d’adapter Roméo [&] Juliette est loin d’être déplacé. Rappelons que Shakespeare raconte une histoire d’amour impossible entre deux êtres qui viennent de familles différentes qui se détestent. C’est par le sacrifice de Roméo et de Juliette que les deux familles arrivent à se réconcilier, ce qui laisse entrevoir la fatalité du destin de la première génération d’immigrants qui se sacrifient souvent pour que leurs enfants puissent vivre une vie meilleure dans le pays d’accueil, une chance qu’ils n’ont souvent pas eue. Que cette histoire soit contée dans le lyrisme le plus riche que Shakespeare n’ait jamais écrit en fait une pièce avec un langage devenu mythique aujourd’hui. Dans ID, la langue change de registre à plusieurs reprises, en allant de cette poésie anglaise très riche à du slang luxembourgeois très brut en passant par du français soutenu. Un débit qui demande à son public une dimension participative, un projet qui ne déplairait pas à William.