Déjà dix ans : en août 2007 débutait la crise des subprimes, qui allait en quelques mois déboucher sur la plus grave crise économique que le monde ait connue depuis 1929. Un tel anniversaire est l’occasion tout à la fois de se remémorer les évènements et la manière dont ils ont pu être surmontés et de s’interroger sur la possibilité de survenance d’une nouvelle crise du même genre.
Le 9 août 2007, la banque française BNP Paribas annonçait le gel des retraits de trois fonds monétaires adossés à des créances immobilières. Cet évènement passé inaperçu du grand public est aujourd’hui considéré comme le premier signe de l’éclatement la crise des subprimes, ces crédits hypothécaires accordés à partir du début des années 2000 à des ménages américains peu solvables. Les prêteurs leur faisaient croire que la hausse continue des prix de l’immobilier leur permettrait, en cas de difficultés de remboursement, d’obtenir un crédit de trésorerie à hauteur de l’accroissement de la valeur du bien (une pratique courante outre-Atlantique) et au pire revendre leur logement à un bon prix. Un schéma qui ne pouvait tenir que si la hausse se poursuivait encore plusieurs années, mais qui tournerait au cauchemar si la bulle éclatait, ce qui se produisit en 2007, pour des raisons encore inconnues. Des milliards de dollars de créances irrécouvrables se sont alors accumulés.
La suite illustre parfaitement « l’effet de domino ». Alors que les dégâts auraient pu être limités aux établissements qui avaient imprudemment distribué les crédits, ils ont, par le jeu du mécanisme de la titrisation, contaminé le système bancaire mondial : la dissémination des créances douteuses a été telle qu’il a fallu trois ans pour en établir la trace dans les bilans. À partir du moment où les banques étaient touchées (surtout après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008) et fermaient le robinet du crédit aux entreprises et aux ménages, la transmission à « l’économie réelle » était inévitable.
La résolution de la crise a fait une large part à la coopération internationale et à l’accroissement de la réglementation. La sortie de crise a été permise par un effort inédit de coordination, dans l’urgence, des réponses monétaires et budgétaires à apporter. Créé en 1999, le G20 a pris toute sa dimension à partir d’avril 2009 quand pour la première fois de son histoire il a réuni les chefs d’États et de gouvernements (sommet de Londres). Dans le même temps, des institutions anciennes comme le FMI ont été « revitalisées », avec un rôle nouveau et des capacités d’action augmentées.
La régulation financière a été considérablement renforcée, pour rendre l’activité des banques plus sûre pour leurs clients et pour le système économique dans son ensemble. En plus des nouvelles exigences prudentielles introduites par les accords Bâle III (pour la banque) et Solvabilité II (pour l’assurance), l’UE a mis en place des mesures pour la supervision et des redressement d’établissements bancaires (MSU et MRU) ainsi que des stress tests significatifs. Aux États-Unis, la Volcker Rule et le Dodd-Frank Act ont contribué à l’assainissement du secteur financier, avant d’être aujourd’hui contestés.
Mais des mesures efficaces à court terme pouvaient avoir des effets délétères à une échéance plus lointaine, mais néanmoins proche. À partir de 2009, le sauvetage des banques par les États a considérablement accru l’endettement public : en 2011, il atteignait en moyenne cent pour cent du PIB des pays les plus avancés, soit trente points de plus en à peine quatre ans. Selon le FMI, les seuls soutiens au secteur financier ont coûté environ cinq pour cent de leur PIB à ces pays, faisant le lit de la crise des dettes souveraines qui n’allait pas tarder à éclater, notamment en Europe.
Dix ans plus tard, les experts s’accordent à penser qu’une nouvelle crise liée à des « crédits pourris » comme les subprimes est très improbable, puisque la distribution de crédits tout comme leur titrisation sont désormais très encadrées et que les leçons de l’expérience ont rendu les banques plus circonspectes, surtout dans des pays comme l’Espagne ou l’Irlande. Les regards se tournent plutôt vers les marchés financiers.
Des inquiétudes sont perceptibles du côté des marchés financiers surtout aux États-Unis. 80 pour cent des gérants interrogés régulièrement par Bank of America-Merrill Lynch Global Research jugent le marché américain surévalué. C’est surtout vrai des actions des sociétés du secteur des nouvelles technologies et du numérique, dont certaines atteignent des niveaux élevés de valorisation. Mais le plus grand risque actuel est celui d’un krach obligataire, évoqué par 28 pour cent des répondants, qui redoutent une remontée des taux directeurs de la Fed, et éventuellement de la BCE. Début août, Alan Greenspan, ancien président de la Fed (1987-2006), a tiré la sonnette d’alarme. Pour lui, lorsque les taux d’intérêt, actuellement anormalement bas, commenceront à remonter, ils le feront rapidement, ce qui déclencherait un effondrement du marché obligataire, impactant également les actions.
Des inquiétudes liées au crédit persistent également. En Italie et en Espagne, encore récemment le poids des créances toxiques a fragilisé des banques importantes qui ont dû être précipitamment renflouées ou vendues. Aux États-Unis, des excès ont été commis dans les prêts aux étudiants : leur encours a augmenté de 400 pour cent depuis 2004 et atteint quelque 1 400 milliards de dollars, dont mille sont dus à des banques. Il dépasse désormais celui des cartes de crédit et des prêts à l’automobile. Plus de 44 millions de personnes sont débitrices, dont sept millions sont considérées comme insolvables. Néanmoins les montants en jeu restent sans commune mesure avec ceux des subprimes immobiliers en 2007.
Le cas de la Chine est plus préoccupant, car son insolente croissance repose largement sur le recours au crédit. En l’espace de dix ans (2006-2016) le total des dettes privées et publiques (hors banques) est passé de 151 à 257 pour cent du PIB, ce qui représente une multiplication par sept en valeur ! Les entreprises pèsent aujourd’hui 62 pour cent de cette dette. Tout comme les ménages, elles ont alimenté la bulle immobilière qui fait craindre à l’agence Fitch un « choc économique et financier » dans ce pays et inquiète aussi beaucoup le FMI. En effet ces chiffres ne tiennent pas compte du recours massif à des « financements parallèles » (ou shadow banking). Très répandus dans les pays émergents, ils atteignent des montants gigantesques (lire encadré).
Cet exemple montre que la régulation financière comporte de nombreux « angles morts ». De plus elle n’est pas éternelle. Aux États-Unis, elle pourrait même être totalement remise en cause, permettant à des « comportements non vertueux » de perdurer. Certains experts doutent d’ailleurs de l’intérêt de poursuivre le mouvement de régulation. En effet, quand elle s’applique, la réglementation se révèle de plus en plus envahissante, chronophage, coûteuse et finalement impacte négativement la relation avec des clients qu’elle est censée protéger.
Elle peut même donner un faux sentiment de sécurité et favoriser « l’aléa moral ». Celui-ci survient quand par exemple une entreprise assurée contre un risque se comporte de manière plus imprudente que si elle y était totalement exposée. Et comme elle ne pourrait pas avoir de caractère mondial, ni toucher tous les segments de l’activité financière, son caractère asymétrique engendrerait des risques de contournement et de spéculation (comme on le voit en matière fiscale). C’est pourquoi de plus en plus de voix plaident pour ne pas l’alourdir « par le haut » et pour faire davantage confiance à l’auto-régulation des professionnels.
Le poids de la finance de l’ombre
Selon le sixième rapport annuel du FSB (Conseil de stabilité financière) le shadow banking qui désigne des activités financières qui ne sont pas menées par des banques mais par d’autres institutions peu ou pas régulées représentait fin 2015 quelque 110 000 milliards de dollars soit environ 150 pour cent du PIB mondialdavantage qu’avant la crise (140 pour cent). Dans les 28 pays étudiésla finance parallèle pèse 92 000 milliards de dollars.
Avec 30 000 milliards d’actifssoit un tiers du totalles fonds d’investissement sont les principaux acteursmais leur part diminue ; ils sont suivis des courtiers (brokers-dealers) avec 9 500 milliardssoit 105 pour cent une part également en baisse. Les hedge funds comptent pour 3 200 milliards de dollars. Dans les précédents rapportsleur poids était sous-estimé car les îles Caïmansqui concentrent 2 900 milliards d’actifs de hedge fundsn’étaient pas prises en compte. Géographiquement c’est l’UE (hors Luxembourgtoujours pas pris en compte) qui pèse le plus lourd avec 30 000 milliards de dollarsdevant les États-Unis (26 000) suivis du Royaume-Uni et de la Chine à égalité à 8 000 milliards de dollarsdes îles Caïmans (6 000)du Canada et du Japon (4 000 milliards chacun).