Ukraine, Proche-Orient et Chine avec l’incertitude américaine en filigrane : retour sur la première déclaration de politique étrangère de Xavier Bettel

Un bleu face au monde de Trump

À la Chambre mardi
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 22.11.2024

« Ech kennen den Donald Trump aus menger Zäit als Premier Minister, a wäert mat him a sengen neien Ekippe schaffen », a promis le Vice-premier ministre Xavier Bettel très tôt dans sa déclaration de politique étrangère à la Chambre mardi après-midi. L’ambition est de « renforcer la relation bilatérale » avec les États-Unis, « pour défendre nos intérêts, mais aussi nos valeurs », a avancé le libéral pour ce premier exercice en tant que ministre des Affaires étrangères, aussi en charge du Commerce extérieur. (Le volet Coopération sera abordé dans un discours ultérieur.)

Les trois principales régions et enjeux diplomatiques identifiés par Xavier Bettel dans cette traditionnelle composition ont été envisagés à travers le prisme de l’élection présidentielle américaine du début du mois et le retour du Républicain à la Maison Blanche, quatre ans après la fin de son premier mandat. Le président-élu des États-Unis prendra ses fonctions le 20 janvier. Xavier Bettel a cité son patronyme dix fois durant son discours et a évoqué à cinq reprises supplémentaires la future administration américaine, bien plus souvent que dans les discours de Jean Asselborn, LSAP, entre 2016 et 2020.

La guerre d’Ukraine a évidemment pris une dimension particulière. La séance a débuté par une minute de silence en hommage aux victimes du conflit dont c’était le millième jour. Une cinquantaine de personnes avec des drapeaux ont sensibilisé à la cause devant le Krautmaart, malgré le froid, la pluie et le vent. Les manifestants ont distribué des douilles de fusil utilisées par les Russes en symboles de l’agression subie. Lydie Polfer en a donné une à Xavier Bettel avant sa prise de parole. Il y a vingt ans tout juste, la députée-bourgmestre libérale avait livré sa cinquième et dernière déclaration de politique étrangère en plénière, avant que ne débute l’ère Asselborn (seize exercices). En tutrice politique, l’ancienne ministre des Affaires étrangères a glissé quelques mots au nouveau titulaire de la fonction, posant ses mains sur les siennes.

Pour le chef de la diplomatie, le président Trump serait pressé de mettre fin à la guerre d’Ukraine sans tenir compte de l’intégrité territoriale de celle-ci ou de l’avis des pays occidentaux. « America First dierf net America Alone heeschen », a recyclé Xavier Bettel. Il avait déjà employé la formule au soir de l’élection du Républicain. « Vläicht ass d’Wal vum Donald Trump e gudde Moment, fir ons als Europäesch Unioun nei bewosst ze ginn, dass ons Unitéit ons gréisste Stäerkt ass », a espéré le ministre alors que le conflit s’intensifie cette semaine. Au barrage d’ogives russes sur les villes ukrainiennes le week-end dernier, tuant des dizaines de civils, a suivi le premier tir longue portée de l’Ukraine sur le territoire de la Russie, après qu’elle eut obtenu l’accord (et les missiles) du président américain sortant Joe Biden. Pour Xavier Bettel, Volodymyr Zelensky doit venir à la table des négociations en position de force : « Als EU, als NATO, an och bilateral ënnerstëtze mir d’Ukrainer, fir um Terrain Fortschrëtter ze maachen, fir dass Verhandlunge fir si méiglech ginn a fir dass dës Verhandlungen zu engem dauerhafte Fridde féieren an deem Russland d’Souveränitéit vu sengem Nopeschland unerkennt. »

Selon le ministre des Affaires étrangères, la sécurité et l’avenir de l’Europe sont en jeu. « Et quand le droit international est ainsi piétiné, il n’y a pas de neutralité possible. Personne ne peut accepter que prévale la loi du plus fort. Cela constituerait un précédent qui pouvant mener à d’autres injustices en d’autres endroits du monde », a prévenu Bettel. Quelques secondes plus tard, il a ainsi confié « vouloir éviter » les doubles standards dans tous les conflits : « An der Ukraine, a Gaza, am Libanon, am Sudan, am Venezuela, am Myanmar oder am Congo, d’internationaalt Recht an d’Mënschrechter sinn iwwerall zelwecht wichteg. »

Le Proche-Orient s’est révélé, après l’Ukraine, la deuxième problématique prioritaire de la déclaration de Xavier Bettel, un conflit qu’il aborde comme s’il avait commencé avec l’attaque du Hamas le 7 octobre, à la veille des législatives qui l’ont rétrogradé à la vice-présidence du gouvernement. « La situation dramatique à Gaza, et maintenant aussi au Liban » est celle « qui nous occupe le plus », avec la guerre en Ukraine et pour laquelle il faut trouver des solutions en concertation « avec l’administration Biden jusqu’à fin janvier puis avec le nouveau gouvernement du président Trump ». Selon Bettel, il est « évident » qu’il n’y aura pas de paix durable dans la région sans les États-Unis.

Bettel se veut néanmoins volontariste. « C’est la région dans laquelle je suis le plus allé, avec Bruxelles ». L’exercice de la déclaration devait clarifier une politique erratique ces douze derniers mois en ce qui concerne le Proche-Orient. Il ne l’a pas (évidemment) pas rappelé devant les députés, mais Xavier Bettel est passé d’une condamnation univoque des massacres du 7 octobre et du rapt de plus de 200 Israéliens, à une prise en compte (très) tardive du drame humanitaire à Gaza sous les bombes et le blocus du gouvernement Netanyahu, à un semblant d’alliance avec des pays européens solidaires de la Palestine et désireux de la reconnaître en tant qu’État. Il les a finalement laissés tomber quand il s’est agi de franchir le cap. Xavier Bettel raconte son « voyage compliqué » à Jérusalem et Ramallah le 30 octobre. « Je n’ai pas reçu de réponse claire à la question de savoir quels étaient les buts de guerre d’Israël après la mort des chefs du Hezbollah et du Hamas », s’étonne Bettel alors que le terme de nettoyage ethnique est évoqué par le Haut-représentant de l’UE pour la politique étrangère, Josep Borrell. « Ech hu mengen israeleschen Interlocuteuren och d’Fro gestallt, ob et e Palästina ouni Palästinenser ass, wat si wëllen », a-t-il lâché.

Xavier Bettel sème la confusion et tue le sens : « Déi fuerchtbar Biller, wou all Dag onschëlleg Zivilisten, dorënner vill Kanner, ëmkommen, well Israel weiderhi kämpft géint den Terrorismus vum Hamas, loosse keen Zweifel drun dass d’UNRWA net einfach sou ka vun der Knesset ofgeschaaft ginn. » Une phrase que l’on pourrait traduire par : Israël tue des dizaines de milliers de civils innocents, dont de nombreux enfants dans une guerre prétendument menée contre son régime, le Hamas (qu’Israël a laissé grandir). Israël interdit maintenant à la principale organisation humanitaire d’exercer ses activités sur place. « Déi Spiral vun der Gewalt muss op en Enn kommen », invoque Xavier Bettel. Là, pas de référence au droit international.

En mars 2001, quelques mois après le début de la deuxième Intifada, Lydie Polfer s’étonnait (et c’était le seul passage du discours consacré au conflit israélo-palestinien) que les accords d’Oslo, signés en 1993 par les deux parties, peinent à être appliqués. « Les principes d’un règlement sont connus : celui de l’échange de la terre contre la paix, celui de la sécurité de tous les États de la région et celui de l’autodétermination du peuple palestinien ». L’année suivante, la juriste se félicitait de la création de la Cour pénale internationale (CPI) qui permettrait de juger les criminels de guerre, « e grousse Schrëtt fir dat internationalt Recht ». Ces derniers mois, Xavier Bettel a discuté avec les membres d’un gouvernement dont le président, Benyamin Netanyahu, était visé par le procureur de la CPI pour crimes contre l’humanité (avec l’ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, et trois représentants du Hamas dont deux ont été tués entretemps). Ce jeudi, la CPI a émis des mandats d’arrêt contre Netanyahu, Gallant et Mohamed Deif. Sollicité, le gouvernement luxembourgeois assure attacher « une importance primordiale au respect de l’indépendance et de l’impartialité de la CPI » et appliquera « l’ensemble de ses obligations découlant du Statut de Rome ». Par ailleurs, la Cour internationale de justice, exige d’Israël de rendre les régions occupées illégalement par plus de 600 000 colons.

À la chambre mardi, Xavier Bettel dit vouloir soutenir la reconnaissance de la Palestine pour une paix durable dans la région suivant l’objectif de la solution à deux États. Mais il pose mardi de nouvelles conditions : la fin des hostilités à Gaza, la libération des otages et l’association d’autres pays. Ces conditions ont été remplies à plusieurs reprises pendant la décennie durant laquelle le Luxembourg de Xavier Bettel Premier ministre disait attendre « le moment opportun ». La discussion politique sur la reconnaissance de la Palestine devient de la gesticulation diplomatique. De même, il soulève que l’adhésion à part entière de la Palestine à l’Onu (elle a aujourd’hui le statut d’observateur) en faveur de laquelle le Luxembourg a voté, règlerait « la question de la reconnaissance », mais il sait que le veto américain au Conseil de sécurité bloque la démarche. Face à l’impasse et à l’impuissance, le Luxembourg augmente les financements, notamment à l’UNRWA. Dans un article paru mardi soir, titré « Der Nahostkonflikt ist Bettel eine Nummer zu groß », le Wort souligne qu’utiliser le chéquier comme levier diplomatique « est une astuce très ancienne : « Normalerweise läuft das diskret ab; nicht so bei Bettel. » 

Troisième destination-clef du ministre des Affaires étrangères dans son tour du monde en 90 minutes mardi à la chambre : la Chine. Il s’y rendra à la fin du mois, informe-t-il, avec son camarade à l’Économie, Lex Delles, « eng Wirtschaftsmissioun an Aarbechtsvisite op Peking, Shanghai an Hongkong. » Bettel défend volontiers le bifteck avec le « Team Lëtzebuerg », une expression utilisée cinq fois pour désigner les services dédiés à l’attraction d’investisseurs étrangers, dorénavant liés au MAE. Le Grand-Duché continue de se placer entre la Chine et les États-Unis, dans le contexte de guerre en Ukraine. « China a Russland hunn eng komplex Relatioun, et gëtt Soutien aus verschiddene Beräicher a China fir de russesche Krich an der Ukrain, mä China gehéiert och zu deene rare Länner, déi kënnen derzou bäidroen, en dauerhaften a gerechte Fridden an der Ukrain erbäizeféieren », analyse Bettel. Pour le ministre, il s’agit de ne pas précipiter la Chine dans les bras de la Russie. « Il faut prendre au sérieux le dialogue avec la Chine, sur de nombreux sujet », a-t-il dit devant l’ambassadeur de Chine, assis au balcon : Hua Ning. « China ass a bleift e wichtege Partner a ville Beräicher. (…) Ech sinn iwwerzeegt, dass den Donald Trump déi Realitéit och net kann, an net wëll, ignoréieren. »

Mercredi, les députés de la majorité se sont félicités de l’intervention de Xavier Bettel, notamment le « double Laurent » de la politique étrangère du CSV à la Chambre, un surnom qu’a trouvé le député et avocat d’affaires Laurent Mosar pour son association en la matière avec Laurent Zeimet. Yves Cruchten, pour le LSAP, a notamment souligné un manque de cohérence de la politique au Proche-Orient : « L’Iran, comme Israël, doivent savoir que les atteintes aux droits de l’homme ne sauraient être tolérées. » David Wagner (Déi Lénk) a stigmatisé le « deux poids, deux mesures », avec des sanctions prononcées contre la Russie (l’agression sur l’Ukraine), mais pas contre les États-Unis (pour l’invasion de l’Irak en 2003) ou Israël (pour l’occupation des Territoires palestiniens). L’écologiste Sam Tanson s’est, elle, interrogée sur le sens de la politique étrangère luxembourgeoise sur le long terme. La députée a regretté les voix fortes de ces dernières décennies en faveur de droits de l’Homme et pour plus d’Europe : « D‘Regierung awer mutéiert Lëtzebuerg éischter zu enger EU-Schwäiz. Sie huet dacks keen eegene kloere Message oder probéiert sech mat jidderengem gutt ze halen. » La politique étrangère du gouvernement Frieden-Bettel relève d’une mise en balance entre intérêts et valeurs. En décembre, après la première réunion de la commission thématique, le site de la Chambre écrivait que le ministre Bettel ne prévoyait pas de « révolution, mais une continuité en matière de politique d’affaires et étrangères ».

La surprise Mercosur

Mardi, Xavier Bettel a lâché que « pour le moment », le gouvernement ne souhaitait pas donner sa voix à l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Union commerciale sud-américaine). « Mir waarden drop dass d’Kommissioun de Memberstaaten den Inhalt vum fäerdeg verhandelten Text virstellt, matt zousätzlechen Engagementer », a précisé le Vice-Premier ministre à la surprise générale. L’accord commercial fait craindre l’importation de marchandises produites selon des critères sociaux et environnementaux moins exigeants qu’en Union européenne. Est-ce pour se prémunir d’une contestation des agriculteurs ? Le président français Emmanuel Macron se dit opposé au texte et cherche une minorité de blocage (35 pour cent).

Pierre Sorlut
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