"Le temps est un dieu de sable" dit la première sentence du recueil de Marc Alyn intitulé Le Dieu de sable qui vient de paraître au Luxembourg. L'aphorisme est la forme la plus utilisée dans ce texte. Il s'agit de cette forme de connaissance qui se présente sous la forme compressée d'une phrase, d'une illumination ; un pur jaillissement gnomique qui révèle une attitude méditative. Tout tourne autour de motifs récurrents qui insinuent que le mouvement de la pensée a quelque caractère circulaire. Si la pensée avait une forme, elle serait une spirale, une arabesque ou, plus tragique, un cercle. Un des motifs essentiels de la pensée du poète tient dans l'affligeante similitude entre début et fin: "La pré-vie et l'après-vie se rassemblent comme deux gouttes de nuit". La poésie de Marc Alyn décline cette ressemblance en similitude entre source et embouchure. "Similtude" dis-je pour "identité". Nous sommes inscrits dans le circulaire, comme le suggère cet éloge de "la perfection du cercle où se réconcili(ai)ent le terme et le commencement." Ici, l'analogie est autre nom de l'absurde tel qu'il transparaît dans ce passage amer: "Nous n'étions nullement propriétaires de notre vie, n'en consommant que l'usufruit : fruit qui s'usait douce-ment, entre mûrissement et pourrissement." C'est cette veine désabusée, ou mieux encore, sans illusions qui dicte au poète cette anticipation sur les sites du silence: "Ne fut ni ne fit rien, puis s'en fut, effacé. (Épitaphe pour un ex-vivant)." Seule la paro-nomase, le jeu phonique permet de rendre compte du "ludique" de l'être d'où cette prédilection du recueil pour le calembour, la contrepèterie et la paronymie : "Ces femmes acérées plutôt qu'à serrer…" ou: "Un homme à viser en vaut deux." ou encore "Ascète, sauf de cinq à sept". Il s'agit pour le poète de "retourner" la langue afin qu'elle révèle le sens qu'elle recèle, qu'elle laisse entrevoir le non-sens. Ici "sens" et "non-sens" voisinent jusqu'à la synonymie: il se peut, comme le dit Jean-Luc Nancy que le sens du monde est justement dans le non-sens qu'il est. Peut-être que notre erreur est de prendre pour antonymes des synonymes : début/fin ; sens/non-sens… C'est une écriture qui pense l'être et qui se pense. On trouvera çà et là une réflexion sur le fragment, sur le blanc de l'écriture qu'il convient de lire. Ce qui est en jeu ici, c'est l'approche de l'abîme car "l'essentiel est que l'art jette un pont de signes sur l'abîme". La poésie de Marc Alyn est quête de ce graal qu'est la poésie à travers les contrées d'un orient intérieur. C'est une quête qui se sait vouée à l'échec et pourtant à aucun moment, le poète ne verse dans la noirceur. Pour nous préserver de l'absurde et du non-sens, il y a les vitales illusions de l'amour et pour croire au bonheur, il y a la salutaire confusion entre bonheur d'écriture et bonheur : "Un certain bonheur d'écriture fait parfois croire, hâtivement, à notre propre bonheur". Puisse cette confusion perdurer!
Marc Alyn: Le Dieu de sable, poèmes; collection Graphiti des éditions Phi; Esch-Alzette, 2006; ISBN: 2-89046-982-4.