Ce recueil de Carles Duarte traduit par Marie-Claire Zimmermann est comme un ensemble de signets dans l'Ancien Testament. Chaque poème est introduit par une épigraphe biblique. Et cela va de l'Ecclésiaste aux Psaumes. Cela pose la question de la relation entre le texte et ce que les linguistes appellent le paratexte (en l'occurrence l'épigraphe), et cela pose la question de la relation entre poésie et religion. Carles Duarte établit des relations diverses entre le poème et la citation biblique qui lui sert d'exergue. Cela va de l'illustration à la reprise en passant par l'interprétation. Le poème lit la citation biblique et la convertit en poésie souvent sensuelle. Il apparie de la sorte sensualité et spiritualité. Le poème traduit la citation biblique tantôt dans une perspective qui confine à la redite: le verset de l'Ecclésiaste "Voici ce qui est nécessaire à la vie de l'homme: l'eau, le feu, le fer et le sel, la farine de blé, le lait et le miel, le vin qui est le sang du raisin, l'huile et le vêtement" se trouve réécrit ainsi: "Il te faut de l'eau,/comme à la terre/pour donner tous ses fruits,/et du feu qui te réchauffe/et te fascine,/et des métaux/pour fabriquer des objets,/et du blé et du sel/ pour en faire du pain,/de l'huile pour l'y étaler..." et tantôt dans une perspective qui assimile traduire et trahir. Il va sans dire que c'est la seconde perspective qui est la plus féconde car elle donne des moments de fulgurance poétique comme "Aucune vie ne nous appartient" ou comme cette citation biblique "Que pourrai-je dire qui ne soit connu?/Que pourrai-je annoncer, qui n'ait déjà été conté?" citation qui donne au poète l'occasion d'écrire un Art Poétique s'ouvrant sur les limites du dire "Je n'essaierai pas de dire/des vérités inconnues". La poésie de Duarte cultive le culte du silence qui gronde en elle. J'y lis une soif de vivre, une soif d'être qui érige le désir en prière dans une entreprise qui laisse entendre que le sacré est extensible au vécu et que la poésie est contenue dans le sacré. Et cela donne des moments heureux comme ces vers qui traduisent "Tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir" (Ecclésiaste, 9.4) de cette manière: "Tu cherches la trace/d'yeux inconnus de toi/avant que ton cœur ne cesse de battre". Et cela donne des moments d'une grande teneur poétique comme ceux que déclenche cette citation de l'Ecclésiaste: "Tous les fleuves vont à la mer et la mer ne se remplit jamais", versets ainsi traduits: "Le lac au cœur des cimes/se déverse: devenue fleuve,/l'eau dévale/dans un effroi d'écume,/avec un cri assourdissant contre les roches,/vers la mer qui ne cesse pas". Après la mer "toujours recommencée" de Valéry, nous tenons une autre mer "qui ne cesse pas".
Carles Duarte: Triptyque hébreu, poèmes; traduit du catalan par Marie-Claire Zimmermann; Éditions Phi; juin 2005; ISBN: 2-87962-201-8.