La prison grand-ducale de Schrassig est une institution massive difficilement maniable, un navire énorme qu'il est impossible de faire changer de cap avec précipitation sans causer de dégâts. Cette prémisse guide le directeur Vincent Theis dans sa gestion des affaires depuis qu'il a repris le gouvernail du centre pénitentiaire, il y a deux ans. Sans illusions, il part du fait qu'un revirement prend au moins une génération administrative, donc cinq à dix ans. Même si les grandes lignes du trajet sont tracées, il est donc impossible d'en faire une évaluation définitive avant cinq ans.
D'abord, il s'agit de dresser un concept idéal du but à atteindre en s'orientant sur les recommandations, résolutions et règles pénitentiaires du Conseil de l'Europe. Ensuite, il faut que cette image soit partagée et appliquée par l'ensemble du personnel - tâche ardue si l'on tient compte des relations tempétueuses entre direction et personnel de garde (voir d'Land du 7 décembre 2001).
Pour ne pas raviver le feu, Vincent Theis se garde bien de revenir sur le sujet et pèse ses mots. Il admet que les conditions de travail ne sont pas idéales, que c'est une des causes de l'énorme absentéisme dans ses rangs. Près de dix pour cent de son personnel est en congé de maladie quasi permanent, la raison en est souvent le phénomène du « burn out », l'essoufflement des troupes.
Ce manque de motivation s'explique surtout par une déficience du dialogue entre les services et entre le personnel et ses dirigeants, dont le directeur ne nie pas sa propre responsabilité. « La communication prend énormément de temps et il nous faut plus de personnel administratif qui puisse reprendre une partie des tâches que je dois accomplir. Nous sommes en train d'embaucher pour améliorer la situation. » Pour gérer le centre pénitentiaire, il faut obtenir l'équilibre des trois piliers majeurs : les conditions de travail du personnel, les conditions de vie des détenus et l'efficacité de la gestion.
La formation continue du personnel est un des éléments clé pour changer certaines attitudes solidement incrustées : « Nous avons un retard de vingt ans en ce qui concerne la formation que nous venons seulement d'introduire. Mais je regrette que les amateurs soient si peu nombreux à vouloir suivre les cours proposés. » Vincent Theis est un fervent supporteur du Life long learning selon lequel les situations pratiques, vécues dans le milieu pénitentiaire, sont confrontées à la théorie pour trouver des solutions nouvelles.
Les effectifs ont augmenté de moitié depuis 1996, le service de garde représente les deux tiers du personnel. Mais d'autres qualifications plus spécifiques font défaut, surtout dans le domaine psycho-social, socio-éducatif et technique s'occupant par exemple du dispositif de sécurité. Une idée pourrait être l'ouverture de ces postes au personnel étranger. La clause de nationalité constitue par exemple une entrave au recrutement d'un assistant social et d'un éducateur gradué, postes vacants faute de candidats. Cette idée d'embaucher des étrangers a été rejetée par les députés début juin, ainsi que celle de recourir davantage au secteur conventionné, comme l'avait proposé la députée des Verts, Renée Wagener, dans une motion.
En pratique, le centre pénitentiaire est bien obligé de recourir à la main d'oeuvre étrangère, notamment par le biais de deux conventions en période de démarrage : l'une avec le Centre hospitalier de Luxembourg, l'autre avec le Centre neuro-psychiatrique d'Ettelbruck qui fonctionnent avec un staff composé de nationaux et d'étrangers. Ceux-ci s'occupent de l'encadrement médical et psychologique des détenus. Pas moins de dix psychologues seraient nécessaires pour prendre soin de six cent détenus, soit l'entière capacité de la prison - dès l'ouverture du nouveau bloc, prévue pour l'automne, cette fois. Aujourd'hui, la prison en compte 320.
Lors des discussions au parlement le 4 juin, le ministre de la Justice, Luc Frieden, a souligné la qualité des conditions de détention et de travail au centre pénitentiaire luxembourgeois par rapport à l'étranger. Il était d'avis que cet état des choses permettait une meilleure cohabitation, prouvée par l'absence d'émeutes et d'évasions ces dernières années.
« Il est vrai que la situation semble stable depuis les deux ans que je suis ici, admet Vincent Theis, mais le calme est précaire, une émeute peut éclater à tout moment. Il faut aussi remercier la chance et le hasard, même si la relation, les discussions entre le personnel et les détenus sont primordiaux et servent souvent à désamorcer les crises. Mais il ne faut pas se leurrer, nous sommes loin d'une situation idéale. »
La situation idéale a été rédigée noir sur blanc dans les recommandations du rapport « Woolf », présenté après une série d'émeutes en avril 1990 en Angleterre. Lord Justice Woolf y décrit les ingrédients nécessaires pour favoriser une mutinerie comme par exemple le mécontentement des prisonniers en raison de conditions de détention qu'ils ressentent comme inhumaines, le sentiment d'abandon, de mauvais traitements et de punitions injustes etc. En théorie, il suffirait donc d'éviter ces ingrédients pour échapper à l'émeute, ce qui n'est pas facilement ni rapidement réalisable en pratique.
Les suicides en prison ont été une des préoccupations majeures après une série de cas il y a deux ans qui a donné lieu à la rédaction d'un rapport. « La prison restera toujours un lieu difficile à vivre, explique Vincent Theis, surtout en début de détention, lorsque le jugement est prononcé ou quand des crises surviennent, causées par des tragédies personnelles comme la mort d'un proche, la séparation du conjoint etc. C'est à cet instant-là qu'il faut être extrêmement vigilent parce que les tentatives de suicides sont fréquentes pendant ces phases difficiles. » Les procédures d'accueil ont été améliorées, la présence de psychologues et de personnel médical est assurée, ils travaillent en étroite relation avec les gardiens qui sont en contact direct avec les détenus.
Depuis 1996, il n'y a plus eu d'évasion, surtout parce que d'énormes sommes ont été investies dans le matériel technique. Une analyse sur la sécurité du sas d'entrée est programmée comme le revendique la représentation du personnel.
« La sécurité ne peut être assurée à cent pour cent par le matériel technique, remarque Vincent Theis, la politique de détention est bien plus importante. Si le prisonnier a personnellement l'impression qu'il aura une chance de se réintégrer dans la société lors de sa mise en liberté, qu'il a des liens avec le personnel, qu'il aura le sentiment d'être respecté, il pourra mieux endurer sa détention. » Selon le directeur, les possibilités de préparer la vie en liberté sont là, il suffit d'un peu de bonne volonté et d'une prise de conscience. « Chaque détenu a la possibilité de gagner de l'argent en prison, de suivre une formation, d'obtenir des diplômes et de s'inscrire à l'administration de l'Emploi avant sa sortie. Ensuite, il y a toute une gamme d'associations s'occupant de la réinsertion professionnelle. La seule condition : le détenu doit vouloir prendre ses responsabilités et se prendre en main. »
Le centre pénitentiaire comptait participer au programme européen de réinsertion des détenus Equal. Cette volonté n'a pas été concrétisée du fait qu'il fallait plus de personnel administratif pour gérer les fonds versés par la Commission, qu'il n'y avait de personnes disponibles. Le centre pénitentiaire a donc abandonné le projet en veillant à atteindre l'objectif : commencer la réinsertion dès le premier jour de la détention.
Toutefois, le premier obstacle à une réinsertion réussie est la consommation et la dépendance aux drogues. Là aussi, un projet vient d'être initié pour une durée de cinq ans concernant la prévention, l'accompagnement et la prise en charge des personnes touchées. Pendant cette période, il ne s'agit pas de vouloir éradiquer carrément le fléau, mais d'en réduire et contenir les dégâts. « Il ne faut pas se leurrer, explique le directeur, ce n'est pas par des actions coup de poing que nous pourrons y changer quoi que ce soit. »
C'est pour cette raison qu'il souhaite faire bouger les choses en catimini, dans la discrétion sans faire trop de remous. Par cette politique des petits pas, il souhaite améliorer tant les conditions de détention que les conditions de travail du personnel. Il en a fait l'expérience dans le centre ouvert à Givenich qui compte une soixantaine de détenus, où il a oeuvré pendant 17 ans avec une équipe restreinte et motivée. Le centre pénitentiaire de Schrassig est bien une autre pointure où il faudra sans doute encore beaucoup de patience et de détermination.