Monsieur le ministre de la Justice Luc Frieden, vous jouez un jeu dangereux. Vous plaidez, toujours et partout, le respect de la loi, pour mieux camoufler l'esprit dans lequel vous appliquez la loi. Un esprit arbitraire, démagogique, populiste. Juriste de formation, vous savez mieux que quiconque que l'esprit des lois détermine leur application. Cet esprit est conditionné par les valeurs propre à une société. Pour une démocratie comme la nôtre, ces valeurs sont normalement des idéaux humanistes.
Or, dès que le suicide d'Odile Mpo-Luana causa quelques remous au sein de la population, vous étiez présent, promptement, pour apprendre aux bonnes gens qu'une ressortissante congolaise avait été interpellée lors d'une rafle au quartier de la Gare. Et vous continuiez qu'elle était en possession de faux papiers et que donc, pour assurer le bon fonctionnement des institutions que vous chérissez tant, vous appliquiez la loi à la lettre. C'est-à-dire que la personne O. M. était transférée à la prison de Schrassig pour y attendre son expulsion vers le territoire belge. Malheureusement, elle s'y est donné la mort.
Le message pernicieusement véhiculé est affligeant et indigne, surtout d'un ministre. Vous ne considériez point la personne humaine qu'était Odile Mpo-Luana, mais mettiez en avant tous les torts - du point de vue légal, mais aussi selon l'entendement moral hypocrite de la « majorité silencieuse » - qu'elle avait commis. Pas de quoi s'offusquer donc de la mort d'Odile Mpo-Luana, car elle symbolise implicitement, selon vous, ce que d'aucuns considèrent comme la lie de la société.
Monsieur le ministre Luc Frieden, vous n'en êtes pas à votre premier épisode. Vous vous êtes profilé jusque-là comme politicien qui ne connaît pas l'aléatoire. Votre carrière minutieusement planifiée en témoigne. Chacune de vos prises de position est bien réfléchie, chacune de vos décisions a une portée que vous avez, de façon machiavélique, calculée auparavant.
Que ce soit une nième action coup de poing mené à la Gare pour plaire aux populistes de SOS Gare, pour ensuite faire l'amalgame entre l'accroissement de la petite délinquance et la prostitution des âmes perdues, ou encore l'expulsion, façon très hard, de demandeurs d'asile déboutés, les risques que vous encourez sont connus et limités. Les réactions adressées aux médias, indignés par quelques unes de vos actions, le prouvent, malheureusement. Doté d'une froideur politique inouïe, vous savez merveilleusement interpréter l'attitude de cette « majorité silencieuse » qui ainsi ne peut qu'approuver vos agissements.
Monsieur le ministre de la Justice Luc Frieden, lorsque vous étiez député, vous vous bâtissiez une renommée comme défendeur des intérêts de la place financière. Là, où à en croire le Procureur général, la Justice manque péniblement de moyens pour traquer le crime. Chasser le petit criminel ou l'immigré irrégulier est bien plus facile et plus porteur, il est vrai. Et ne vous cause pas d'ennuis avec vos amis.
Actuellement, il est beaucoup question de Jörg Haider pour des propos qu'il a tenus, e. a. sur l'immigration. Jean-Marie Le Pen connut le succès parce qu'il « disait tout haut ce qu'un chacun pense tout bas ». Vous, Monsieur le ministre Luc Frieden, parlez peu, mais vous agissez ! Avec un rare succès.
C'est pourquoi, Monsieur le ministre Luc Frieden, j'espère que la mort d'Odile Mpo-Luana n'a pas été inutile.
Il s'agit de la mort d'une mère, laissant orpheline une fille de douze ans ; d'une mère qui était entrée en contact avec sa famille depuis la prison où elle a été amenée après avoir été interpellée.
L'attitude de votre ministère et de votre administration n'est plus à taxer de négligente. Trop de faux pas ont été commis dans cette affaire pour qu'ils s'agisse de « regrettables oublis » ou de « regrettables malentendus » : l'attitude que vous démontriez envers l'association des amis du Congo au Luxembourg, la façon dont vous avez essayé de titiller le dernier des relents racistes populaires en dépeignant Odile Mpo-Luana comme quantité négligeable dans une société propre sur soi, la soi-disant impossibilité d'entrer en contact avec une famille en deuil, voire de la trouver. L'enterrement indigne que votre administration a « offert » à Odile Mpo-Luana ne fait que parachever une liste trop longue de faux-pas pour qu'ils n'aient pas été considérés auparavant.
Monsieur le ministre Luc Frieden, le populisme est porteur, vous le savez mieux que nul autre. Mais s'il y avait un brin d'humanisme dans cette société, elle vous contraindrait à démissionner. Il en est de même pour votre famille politique, qui porte le « C » dans son sigle, pour symboliser son attachement à l'humanisme de la doctrine chrétienne. (Mais peut-être n'avez-vous choisi ce parti là que pour des raisons de carrière, sans vous préoccuper d'une quelconque morale.) Cela vaut aussi pour un gouvernement où le Premier ministre, peut-être dépassé par votre jeu politicien (« Die Geister die ich rief... »), s'efforce de raconter à la presse que vous ne réussissez pas à fermer l'oeil pendant des nuits entières à cause de dossiers « à caractère humain » où la décision dépend de vous. S'il en est vraiment ainsi, Odile Mpo-Luana hantera votre conscience à tout jamais.