L’immeuble improvisé en structure métallique a poussé à la périphérie de Bucarest, sur un champ situé à proximité du quartier Giulesti, centre de la communauté rom de la capitale roumaine. L’extérieur ne laisse guère deviner ce qui se passe à l’intérieur où une poignée de jeunes Roms de l’association Romano Butiq sont en train d’aménager un musée de la culture rom. Le manque de moyens ne décourage pas ces jeunes qui rêvent d’un endroit où ils pourront faire découvrir la culture d’une minorité discriminée, chassée partout en Europe, dont tout le monde parle mais que peu de gens connaissent. « C’est le genre d’endroit qui fera venir les visiteurs, affirme Ciprian Necula, le président de Romano Butiq. On a un argument de taille : un restaurant rom avec une cuisine qu’on ne trouvera nulle part ailleurs. »
Romano Butiq n’en est pas à sa première aventure. Grâce à un financement d’un montant de cinq millions d’euros, cette petite association a réussi ce que les gouvernements roumain et occidentaux tentent de faire depuis plusieurs années sans succès : fixer les Roms en Roumanie. L’idée est simple : valoriser leurs métiers traditionnels et leur permettre d’en vivre. Avec les jeunes de Romano Butiq, il a parcouru la Roumanie et sélectionné 500 artisans qu’il a organisés en coopératives en fonction de leur métier. Les objets traditionnels faits main ont ensuite fait le tour de plusieurs foires roms qui ont sillonné le pays. Puis l’association a mis en place un site de vente de ces produits artisanaux. Le revenu des ventes est distribué aux artisans qui ont ainsi une motivation suffisante pour ne plus aller mendier dans les rues de Paris et des grandes capitales européennes.
La démarche de Ciprian Necula vaut plus que les nombreuses stratégies pour l’intégration des Roms qui sont souvent restées lettres mortes dans les bureaux des divers gouvernements roumains. Sur le budget européen 2007–2013, la Roumanie devait bénéficier d’un montant de 32 milliards d’euros de fonds non-remboursables, dont 3,7 milliards d’euros octroyés par le Fonds social européen, avec comme principal objectif d’intégrer les Roms. En l’absence de projets, Bucarest n’a dépensé qu’environ vingt pour cent de la manne européenne. S’ajoute au désintérêt des autorités roumaines la bureaucratie bruxelloise, dont les procédures sont si compliquées qu’elles finissent par décourager. « La Commission continuera à suivre de près les actions concrètes des États membres et à collaborer avec ces derniers afin de garantir le meilleur usage possible des fonds qui leur seront alloués par l'UE », a déclaré le 4 avril le commissaire européen chargé de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, Laszlo Andor, à l’occasion du sommet européen sur les Roms organisé à Bruxelles.
Cette troisième rencontre de haut niveau consacrée aux Roms, après les sommets de 2008 à Bruxelles, et de 2010 à Cordoue, en Espagne, a réuni dans la capitale bruxelloise quelque 500 chefs d’État, ministres, agences gouvernementales et responsables d’associations. Au cours de la nouvelle période financière 2014-2020, au moins vingt pour cent de la dotation du Fonds social européen de chaque État membre devront être alloués à des mesures d’inclusion sociale. Objectif : garantir les ressources financières nécessaires à l’intégration des Roms. « Une société est forte quand elle prend soin des faibles, a déclaré le président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Il est inacceptable que les Roms soient encore discriminés dans les hôpitaux, les entreprises et les écoles, qu’ils n’aient pas de maison et pas de futur. »
Pointés du doigt lors des campagnes électorales en Europe de l’Ouest, les Roms risquent de devenir les parias d’une Europe en crise à la recherche de boucs émissaires. Le président roumain, Traian Basescu, présent lui aussi à Bruxelles aux côtés de Monsieur Barroso, a évoqué des chiffres éloquents. « Plus de dix pour cent des femmes roms accouchent entre douze et quinze ans, et 48 pour cent entre seize et 18 ans, a-t-il déclaré. Environ 60 pour cent des habitations des Roms n’ont pas de salle de bain, et 80 pour cent n’ont pas l’eau courante. » Des conditions de vie qui les poussent de plus en plus à prendre la route de l’Europe de l’Ouest dans l’espoir d’une vie meilleure qui n’est souvent qu’une illusion. Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, la France à elle seule expulse tous les ans environ 10 000 Roms en Roumanie qui repartent aussitôt dans l’Hexagone pour être à nouveau expulsés. Un match de ping-pong qui coûte cher mais ne règle rien.
La crise économique et financière qui secoue l’Europe depuis 2008 n’arrange pas les choses. Les Roms sont devenus un thème de campagne électorale dans plusieurs pays d’Europe occidentale, notamment en France où les extrémistes et les populistes ont trouvé le moyen de capitaliser le mécontentement généré par la crise. La situation ne s’améliore pas non plus en Roumanie. Le nombre de médiateurs qui font le lien entre l’école et les familles roms pour faire reculer l’abandon scolaire a été réduit de 800 à 300. La moitié des enfants roms n’arrivent plus au lycée et abandonnent l’école, se retrouvant plus tard sans emploi et sans aucune chance d’intégrer les sociétés européennes du XXIe siècle. Un problème auquel le sommet européen de Bruxelles consacré aux Roms veut s’attaquer. Mais au-delà des grandes stratégies, sur le terrain ce sont les jeunes militants roms qui ont commencé à agir.