Le Parlement européen est élu au suffrage direct depuis 1979. L’idée alors était de renforcer la démocratie européenne en impliquant directement les citoyens dans l’acte fondateur qui crée un parlement. Derrière cette idée poignait la mauvaise conscience d’une Union décidée après la deuxième Guerre mondiale par les chefs d’État, gérée par des ministres et des hauts fonctionnaires.
Cette mauvaise conscience n’a jamais quitté l’Union européenne. C’est pourquoi la volonté de démocratisation de l’Union européenne continue de s’affirmer avec vigueur d’autant plus que les eurosceptiques et les adversaires de la construction européenne pointent sans cesse le soi-disant déficit démocratique dans l’Union. Mais plutôt que d’un déficit il faut parler d’une obsession démocratique. Celle-ci s’est exprimée au fil des décennies dans une foule de mesures politiques et institutionnelles et continue à un rythme toujours plus soutenu. Ainsi, le Parlement européen directement élu a vu ses prérogatives étendues dans les traités successifs jusqu’à être un co-législateur presqu’au même niveau que le Conseil.
Dès le Traité de Maastricht (1993) ont été reconnus officiellement les partis européens. Le Traité d’Amsterdam (1997) a reconnu le rôle des parlements nationaux dans le processus législatif européen, rôle précisé par le Traité de Lisbonne (2008). Ce dernier est le premier traité élaboré par une convention où participaient des députés nationaux et européens, des ministres et des commissaires. La méthode de la convention est inscrite désormais dans le Traité. Celui-ci comporte encore un titre II sur les dispositions relatives aux principes démocratiques qui consacre la citoyenneté européenne (art.9), la démocratie représentative (art. 10), le dialogue avec les citoyens dont l’initiative citoyenne (art. 11), la participation des parlements nationaux au fonctionnement de l’Union (art.12). Beaucoup de chemin a été fait depuis 1979.
Par des avancées politiques successives, parfois avant même que les traités les aient permises, le Parlement européen s’est mué au fil des dernières décennies en acteur politique incontournable. Sa volonté première, de mandature en mandature, a été et est d’étendre sans cesse ses pouvoirs avec l’objectif de renforcer la démocratie parlementaire dans l’Union.
Cela continue sous nos yeux. Ainsi, jeudi 13 mars 2014, une résolution a été adoptée à une forte majorité au Parlement européen qui exprime les vues de cette majorité pour l’après-25 mai. Quant à la nomination du prochain président de la Commission, la concurrence s’annonce vive entre le Parlement et le Conseil. Le TUE dit (art.14) que le Parlement élit le président de la Commission, mais c’est le Conseil européen qui propose un candidat au Parlement, « en tenant compte des élections au Parlement européen » (art. 17 § 7). Ce que cela veut dire au juste, personne ne le sait vraiment. Le 13 mars 2014 encore le Parlement a mis en demeure le Conseil de clarifier sa position. Il demande que le candidat choisi par le Conseil lui expose les orientations politiques de son mandat, qu’il puisse en discuter et voter ensuite. En outre, les parlementaires européens désirent que le plus grand nombre des futurs commissaires soient choisis parmi les députés européens
Selon le Traité, le Parlement européen doit aussi approuver par un vote les autres membres de la Commission et le Haut Représentant pour les affaires étrangères, choisis par le Conseil européen. Cette construction fait croire à une analogie avec l’État nation où le gouvernement doit obtenir la confiance du parlement. Ce gouvernement a donc sa majorité pour diriger le pays pendant une législature. Il n’est pas sûr que cela se passe de la même façon en Europe. Il n’y a jamais eu de majorité gouvernementale claire et contraignante au Parlement européen. Il faut donc parfois trouver des majorités ad hoc. Car l’allégeance des députés européens à leur groupe parlementaire est souvent vacillante, surtout quand il y va de problèmes qui touchent à l’intérêt national.
Le flou politique qui règne lors de certains votes au Parlement européen est le corollaire d’une dynamique propre à cette institution. Dans une assemblée démocratique de 751 députés il est naturel que chacun veuille se profiler et se rappeler au souvenir de son parti et de ses électeurs. Cela se fait le plus efficacement en allant à contre-courant et non en intégrant la majorité pourtant nécessaire pour faire fonctionner un système de plus en plus démocratique !
Ce qui plus est, le scrutin proportionnel a été imposé à tous les États membres par l’UE car plus démocratique pour représenter les opinions. Il favorise cependant l’éparpillement des forces politiques. Il permet souvent à des politiques qui n’ont pas obtenu de mandat national d’y trouver refuge. Pour certains, le mandat européen permet de gagner sa vie pour continuer la lutte politique nationale sans s’occuper de l’Europe. L’extrême-droite française s’en est fait une spécialité, mais également l’extrême-gauche de ce pays. En Allemagne les groupuscules les plus divers enverront des députés à Strasbourg après le 25 mai suite à l’abolition récente de la barrière des trois pour cent par la Cour constitutionnelle allemande. Si la démocratie européenne est dès lors très représentative, elle n’en est pas pour autant plus efficace.
Quant aux partis européens créés pour donner une base politique aux groupes parlementaires, ce sont des partis de partis, sans membres et militants directs, superstructures gérées par des fonctionnaires, fonctionnant par consensus, surtout machines électorales. Donc le contraire d’une démocratie participative.
On n’est donc pas au bout des efforts d’une démocratisation efficace de la construction européenne. Du chemin reste à faire pour stabiliser la majorité de gouvernement au Parlement européen et pour fonder des partis européens comme véritables courroies de transmission des citoyens européens.
Parallèlement à ces efforts démocratiques au niveau de l’Union européenne, chaque État membre a essayé d’améliorer la démocratie et la transparence dans sa propre gouvernance européenne. À cet égard, les nouveaux États membres, surtout dans les pays scandinaves, ont le plus souvent mieux réussi que les États fondateurs.
Au Luxembourg, pour documenter leur sérieux européen, les grands partis s’étaient entendus en 2009 de ne pas présenter les mêmes candidats pour les élections nationales et européennes. En 2014 on voit réapparaître des mandataires nationaux sur certaines listes pour la simple raison que notre système électoral n’est pas adapté à ces élections.
Le législateur a décidé encore en 2013 l’incompatibilité légale du mandat national et du mandat européen. On a réduit le nombre de candidats à six puisqu’on suppose que désormais les élus accepteront leur mandat. On a (après vingt années de dérogation) accepté que les citoyens européens non nationaux puissent voter sans délai de résidence.
En outre, la volonté démocratique a mené à une double dimension parlementaire dans l’Union européenne qui met en concurrence les parlements nationaux et le Parlement européen. Les Parlements nationaux interviennent au début de la procédure législative européenne à travers le contrôle de la subsidiarité et de la proportionnalité. Là aussi, il y a encore du chemin à faire. Car les interventions des parlements nationaux ne portent sur le plan européen que si elles convergent et exercent un poids collectif sur la Commission et le Conseil, ce qui arrive rarement. Par ailleurs les discussions politiques essentielles entre le Parlement européen et le Conseil se passent au cours de la procédure de codécision dont sont éliminés les parlements nationaux. D’où l’idée d’une Assemblée des Parlements nationaux – on parle aussi d’un Sénat ou d’une troisième Chambre –, en fait une absurdité dans un système législatif qui a déjà deux législateurs. L’accumulation des assemblées ne serait pas en elle-même un garant de bonne démocratie parlementaire.
À suivre le fil des efforts entrepris pour rapprocher les citoyens de la construction européenne, on s’aperçoit que les idées ont été généreuses, mais parfois abstraites et souvent longues à mettre en œuvre. Sous le coup de la crise de 2007 et de la nécessité de réagir rapidement, la démocratie européenne a été à la peine. De nombreuses mesures ont été décidées par de petits cercles de ministres et de hauts fonctionnaires européens et nationaux.
D’où la revendication démocratique forte de faire (co)décider les citoyens européens sur la personne du futur président de la Commission en proposant des têtes de liste européennes.
La personnalisation relève d’une logique présidentielle. Comment la Commission fonctionnera-t-elle avec un président (indirectement) élu par le peuple européen, responsable devant un Parlement versatile, aux majorités changeantes ? Il devra être au diapason avec le Conseil et le Parlement. Ce n’est pas gagné d’avance.
En tout cas, on ne peut pas reprocher à l’Union européenne de ne pas faire le pari de la démocratie. Les balivernes de certains populistes et de nombreux ignorants de la chose européenne sur le super-État européen ou sur le règne des technocrates ne résistent pas à ce qu’on peut constater comme efforts démocratiques de la construction européenne depuis des décennies.
Mais il faudra faire vivre ce système. Cela ne se fera que s’il se trouve des femmes et des hommes politiques qui jouent pleinement le jeu de la démocratie européenne, qui s’y consacreront entièrement, qui connaissent les rouages et surtout qui veulent résoudre les problèmes des citoyens par un effort de solidarité européen.
Aux citoyens donc de bien choisir les candidats qui s’engagent pleinement dans le difficile travail démocratique transnational et de refuser ceux qui ne font que profiter du mandat européen pour mieux faire carrière au niveau national.