Observed, tel est le titre de l’exposition actuelle à l’Espace 2 de la Galerie Clairefontaine. Tel est également le sentiment qui envahit le spectateur au moment où, lui-même, il observe les œuvres présentées. Dans ses portraits de grand format, Stylianos Schicho fait l’analyse de la société occidentale contemporaine qui se caractérise par l’omniprésence de caméras de surveillance dans le tissu urbain et dans les lieux publics.
Les personnes que Stylianos Schicho (né en 1977 à Vienne) représente dans ses tableaux occupent quasi tout l’espace de la toile. L’arrière-fond blanc confère à la scène quelque chose de cru, à l’instar d’un croquis, une impression soutenue par le fait que la tête de certains des personnages n’est indiquée que par des traits noirs en forme de ballon. Les protagonistes se démarquent par leurs imposantes postures et par leur regard, qui est sans exception voilé et injecté de sang. Le visage des personnes peintes exprime généralement de la résignation.
L’un des tableaux les plus impressionnants de l’exposition, organisée par la Galerie Clairefontaine en collaboration avec le Centre des Arts pluriels d’Ettelbruck et l’Ambassade d’Autriche au Luxembourg, est Public fears (de 2006). Trois personnes munies de pistolets optiques et de manettes de jeux sont réunies dans une salle de jeux. Leurs regards ne se croisent pas, indiquant une isolation émotionnelle des individus. Les yeux rouges rappellent le regard fixé sur l’écran (des ordinateurs, des télévisions etc.) et constituent une mise en garde contre la dépendance aux jeux vidéo. Ils peuvent aussi évoquer le mythe des vampires, dans le sens où l’individu issu de la société de consommation, voire l’individu dépendant de la consommation et de la distraction, devient un mort-vivant sans âme.
La perspective que Schicho choisit dans ses peintures à l’acrylique est celle d’une caméra de surveillance. Le regard des personnes représentées est souvent dirigé vers le haut, vers l’instance observatrice. D’autres fixent une personne ou un objet hors-champ qui restent inconnus au spectateur. Dans presque chaque tableau cependant, il y a aussi un personnage qui adresse son regard au spectateur. Le regardant devient ainsi regardé.
Dans About the monkey on my back 2 (de 2011), un homme (l’artiste lui-même) et un singe regardent en direction du spectateur, alors qu’une femme lui tourne le dos. Le singe, élément récurrent dans les tableaux de Schicho, est également un autoportrait de l’artiste – autoportrait ironique tel que Jörg Immendorff l’a lui aussi exploité dans ses sculptures de bronze, exposées dans l’Espace 1 de la Galerie Clairefontaine (jusqu’au 18 février). Le retour du regard, de même que la perspective de la caméra de surveillance, créent une atmosphère paranoïaque dans les tableaux de Schicho et amènent le spectateur à prendre conscience de l’autre.
Dans l’œuvre de Schicho, certains éléments reviennent systématiquement : des téléphones portables (Die Schwester des Banquiers de 2012, O.T. de 2011 et O.T. de 2010), des ballons (deux tableaux sans titre de 2011), des étiquettes avec un numéro (Lost de 2012) ou des lunettes solaires (Michele de 2011, About the monkey on my back de 2011 et O.T. de 2011). Les lunettes de soleil masquent le regard des protagonistes et rappellent la vue unilatérale qui existe dans les salles d’observation des cliniques psychiatriques ou des postes de police. Les portables, quant à eux, sont devenus indispensables dans le quotidien et expriment à nouveau une addiction de l’individu à un monde régi par la technologie.
À l’heure actuelle, où la surveillance par les caméras dans les lieux publics est quasi permanente, les peintures de Stylianos Schicho sont un rappel à l’ordre. Doit-on tolérer qu’un individu soit observé par un système sans qu’il puisse savoir qui le regarde et à quel moment il est vu ?