Cela fait quelques années que les (grandes) marques de luxe ont découvert l’art contemporain. Ou du moins le profit qu’elles peuvent tirer de l’engouement d’une partie du public. De leurs clients justement. À en croire l’un de leurs directeurs, argumentant que luxe et art se rejoignent, propres tous deux à susciter et à nourrir l’émotion.
Rue de Bassano, là où elle débouche sur les Champs-Elysées, à peu près à hauteur de la station de métro George-V. Dans une des vitrines du magasin Louis-Vuitton, le passant découvre un drôle d’objet, drôle de sculpture, obus transformé en instrument de musique, même si Charlotte Moorman ne jouera jamais de ce violoncelle-là. On connaît l’artiste, l’interprète, morte en 1991, impliquée notamment dans Fluxus dans les années 60 et 70, et une photo au moins est dans tous les livres, reste gravée dans les mémoires, l’Américaine interprétant à demi-nue une pièce de Nam June Paik.
On pousse la porte, on n’est pas moins frappé dans le hall d’entrée, car là encore comme une maquette d’architecture, un objet qui livre sa vie intérieure, Pavillon S.T., de Rémy Jacquier : en grande dimension, une partie de notre organe auditif. Ensemble avec Bomb Cello, le ton est donné, ce vers quoi est orientée la nouvelle exposition de l’Espace culturel Louis-Vuitton : la rencontre des arts plastiques et de la musique, comment des plasticiens mettent à contribution notre ouïe.
L’ascenseur qui monte dans le ciel élyséen, exactement au septième (étage), c’est Olafur Eliasson qui l’a conçu, étriqué, plongé dans le noir. Your Loss of Senses, a-t-il dit, ajoutant que la montée doit être pour le visiteur un instant où il « se regarde sentir ». Disons que cela peut aider à créer une attente, à aiguiser les sens. Chose nécessaire pour saisir les murmures de la forêt de Su-Mei Tse, Wood Songs, des crépitements, des craquements, si l’on se place sous les haut-parleurs, des bruits comme on en avait l’habitude avec les bons vieux tourne-disques, et là, dans une ambiance de (sous-)bois, avec lits de feuilles mortes et de terre, ce qui est en rotation, c’est la tranche supérieure d’une petite dizaine de souches d’arbres.
L’exposition, dans ces nobles combles, au long d’autres salles, six en tout, conduit à d’autres expériences, pour un art et un visiteur qu’on veut tout naturellement interactifs. Au bout, dans une rotonde, atelier numérique, en tapant sur des écrans, ou pupitres, les arts se rejoignent, il peut même inventer sa propre composition (musicale et plastique). Il aura précédemment traversé les Cercles magnétiques de Christina Kubisch, des écouteurs aux oreilles.
Comment se fait-il que l’émotion se fasse attendre ? Une exposition trop bien léchée ? L’installation de Stéphane Vigny en est symptomatique : une salle remplie de 128 cymbales (sur pied), bien ordonnées, trop bien au point que les pauvres instruments sont condamnés à rester presque silencieux, tellement ils se marchent justement sur les pieds. On retourne alors pour passer plus de temps avec Jemeel Moondoc, un saxophoniste de free jazz, et sa belle mélopée dans la vidéo d’Anri Sala : Long Sorrow, et d’un coup, avec le gros plan aussi sur le visage du musicien, une dimension humaine s’installe, vient réchauffer.
Quand vous reprenez l’ascenseur d’Olafur Eliasson pour redescendre, la question se pose. S’arrêter et aller dans le magasin, ou sortir directement dans les bruits de la métropole.