La remise en question de la réalité fait partie du quotidien des artistes, qui, à travers leurs œuvres, créent des objets artificiels ayant trait à la fois à la réalité et à la fiction. De nos jours, le monde virtuel vient s’ajouter au monde physique et les technologies permettant de manipuler la photographie et la vidéo ont contribué à un estompement progressif des frontières entre réel et fictif. Realfictions, l’exposition actuelle à la Galerie l’indépendance, a été conçue par Didier Damiani et montre l’aboutissement des réflexions que 17 artistes ont menées autour de ces deux notions.
Dans ses œuvres Radioactive cats (1980) et Revenge of the goldfish (1981), l’artiste américaine Sandy Skoglund fait l’analyse de la relation de la photographie à la manipulation et de la réalité à la surréalité. Les deux photographies montrent une invasion d’animaux (des chats, respectivement des poissons rouges) dans un intérieur monochrome, habité par des personnes. De prime abord, ces images semblent être manipulées par l’ordinateur. Elles sont cependant nées d’un long travail de studio qui dure parfois des semaines, voire des mois avant d’aboutir au résultat désiré de trompe-l’œil.
Dans sa série Le Monde 2009 1-12 (2010), Marco Godinho s’intéresse lui aussi à l’influence que les images peuvent exercer sur un individu. L’artiste a reproduit au graphite la page de couverture de la première édition de chaque mois de l’année 2009 du journal Le Monde et jette un regard critique sur les médias et sur le pouvoir qu’ils exercent sur notre conception de la réalité. Il en est de même pour Wang Du, artiste chinois vivant en France. Son œuvre Je suis la réalité (2005) est une tapisserie de trois mètres sur quatre de son portrait et de la phrase provocatrice « Je suis la réalité » signée Wang Du. L’artiste ne se considère pas seulement en tant que représentant de la réalité, mais s’impose comme étant « la » réalité elle-même. Il accuse par là les médias de masse qui, eux aussi, se veulent être « la » réalité. Tout comme Godinho, Wang Du a choisi un support et une technique uniques, difficilement reproductible à l’infini, pour s’attaquer aux médias.
D’autres artistes, comme Pascal Bircher et Adam Vackar, se servent justement de la photographie elle-même pour renvoyer à sa double capacité de témoin d’un espace-temps précis de la vie et de moyen d’illusion, voire de mensonge. Justine Blau réalise dans ses œuvres The circumference of the cumanán cactus et World in a box – Alps (2011) des collages à partir de photographies récupérées sur Internet. Ces paysages suscitent un sentiment d’inquiétante étrangeté auprès du spectateur qui en reconnaît certains éléments, alors que l’ensemble n’existe pas tel quel en réalité.
Le paysage en tant que lieu mystérieux, insolite ou mythique se retrouve chez un certain nombre d’artistes exposés dans Realfictions : trois peintures de Grégory Durviaux, six photographies de l’Islande de Vanessa Gandar, une série photographique de neuf silos de Mike Lamy et une vidéo d’une bande de plage assaillie par la mer des deux côtés de Saskia Raux et de Marc Scozzai (Horizons de 2011). Cette dernière est obtenue par un dédoublement symétrique de l’image filmée, avec un léger décalage dans le temps pour le défilement de la partie droite. Le monde révisé d’un point de vue plus humaniste est le thème de l’œuvre de The Plug et de Stéphanie Rollin, I love you but I’ve chosen darkness (Golden shoot) (2011). Leur table en inox fait référence à celles installées dans les maisons de désintoxication et renvoie à l’état d’emprisonnement et de sombrement dans les ténèbres. L’œuvre Décrocher la lune (2009) de Sébastien Goujo, des clous enfoncés dans une plaque de bois, incite le spectateur à se déplacer et à adopter une position active face à ce qu’il perçoit.
Martine Feipel et Jean Bechameil consacrent leur œuvre The picture room recess (2011) à la perception de la réalité. Une entrée, dont les portes sont revêtues de miroirs nous rappelle le passage d’Orphée dans l’autre monde, un passage qui se fait dans le film de Cocteau (Orphée de 1950) à travers un miroir. La perception est mise à l’épreuve par la déformation (le miroir est légèrement déformé) et par le positionnement face à l’œuvre (selon sa position, le spectateur apparaît et disparaît dans le miroir). Une fois de plus, les artistes interviennent sur la réalité que nous voyons et nous en imposent une autre.
Finalement, The Present (2010) de Jerry Frantz, un coffre-fort avec les petites armoiries du Luxembourg (le lion rouge à la double queue) sur les côtés, est installé en plein centre de la galerie, qui se situe à l’entrée de la banque. L’emplacement du coffre-fort (en bois) n’est pas sans ironie et suggère une réflexion sur la réalité du système économique. À travers l’exposition qui vaut le détour au siège social de la Bil, le spectateur est amené à remettre en question ce qu’il voit et ce que les artistes, représentants de la réalité, lui proposent.