Le portrait monumental de Mao Ze Dong, qui domine la gigantesque place Tian’anmen est une image qui domine la mémoire visuelle collective chinoise. On s’en doutait déjà, mais cette peinture n’est pas vraiment une œuvre originale. C’est l’artiste Chen Shilin, qui, à partir de quatre photographies officielles, a réalisé une image composite, idéalisée, du visage du grand timonier en cadrage « photo d’identité ». Cette icône rouge n’en est donc pas vraiment une, et il ne semble pas illogique que dès la fin des années 1980 toute une génération d’artistes contemporains chinois, plus ou moins tolérés dans leur pays, s’en soient pris à cette image emblématique pour, en général, la destituer par leur vision artistiques.
Tom Sanford n’est pas un enfant de la révolution culturelle. Mais pour son exposition actuelle à la galerie Nordine Zidoun, place de Strasbourg, il a fait peindre une suite de portraits identiques de Mao Zedong en format moyen, pour y ajouter une touche américaine. Sanford, originaire de New York, rajoute des moustaches, des casquettes de baseball, ou transforme Mao en Marylin, respectivement en Groucho Marx en peignant sur des toiles réalisées avec le portrait officiel, qu’il a lui-même fait faire en Chine. Cette réappropriation rappelle un humour plutôt potache et bas de gamme tel que le pratique volontairement le magazine Mad depuis le début des années 1950. Alfred E. Neuman, une autre icône de la culture visuelle datant de l’époque de la guerre froide, est le symbole de cette publication dont la dérision et le nonsense sont célèbres depuis. Et c’est justement dans les pastiches et parodies de Mad magazine, que bon nombre de dessinateurs et d’illustrateurs ont pratiqué un style de caricature qui est à l’origine de ce que produit Tom Sanford actuellement.
Tom Sanford ne fait pas qu’administrer des déguisements au portrait de Mao, il produit essentiellement de grandes compositions figuratives qui représentent les excès de la société consumériste et de la société des médias aux États-Unis. Une ouverture de supermarché pour les soldes, (le tableau est intitulé Black Friday) devient ainsi le prétexte d’une mise en scène grotesque qui parodie le Radeau de la Méduse et autres chefs d’œuvres catastrophistes. Les personnages de Sanford sont des caricatures en négatif de ce qu’il observe dans les représentations médiatiques de son quotidien. Il en amplifie l’absurdité pour produire des situations grotesques.
Dans son choix des couleurs et ses représentations volontairement maladroites, Sanford applique une forme toute particulière à son travail, qui est peu connue en Europe. Il s’agit de l’esthétique kitsch des Thrift store paintings (peintures de brocantes), telles que les avait exposé l’artiste américain Jim Shaw au Casino Luxembourg en 1999. Cet amalgame de maladresses picturales et de sujets incongrus forme un volet à part de la culture visuelle aux USA. Ainsi, le fait peindre une Joconde avec les oreilles de Mister Spock n’est pas idiot, c’est étrangement sympathique pour une culture excentrique dont une histoire des styles reste à écrire. Tom Sanford est un illustrateur qui nous montre à quoi ressemblerait la grande histoire si elle avait été écrite par Alfred E. Neuman. Dans ses compositions qui rappellent l’outrance du Grand Guignol, il affiche un jusqu’auboutisme visuel qui semble logique dans sa vision des choses et des gens.