Si le quotidien de tout résident luxembourgeois est, dans des proportions variables, marqué par son activité, c’est parce qu’on lui doit quelques logos et concepts emblématiques, à commencer par celui de Luxexpo. Abordant le virage de la quarantaine avec le faux détachement qui le caractérise, Fred Thouillot a préféré s’offrir une agence plutôt qu’un coupé sport. En créant Granduchy, il choisit de se libérer de toute contrainte et de donner les pleins pouvoirs à des aptitudes créatives qu’aucun de ses pairs ne lui contestera.
Alors que le milieu de la « com » vit de ses individualités, l’excentricité d’un Fred Thouillot ne se mesure pas à la couleur de ses baskets. Issu d’un mariage franco-allemand, il a probablement hérité de son père une certaine assurance, et de sa mère un souci d’aller à l’essentiel. Inutile, dès lors, d’attendre de lui de jolis diaporamas colorés, Fred Thouillot est un homme de « saillies » et de concepts accrocheurs. L’héritage, cette fois peut-être, d’une formation initiale d’ingénieur – accomplie à Metz – qui lui apprit à se montrer pragmatique. Des aptitudes qu’il ne se voyait pas réserver à la société d’expertise en bâtiment de son père. Fred Thouillot : « Cette expérience professionnelle initiale a eu le mérite de me conforter dans mon impression : je ne pourrais me contenter d’un emploi strictement technique, » explique-t-il, s’amusant au passage d’une note de 20/20 obtenue au bac dans l’option arts plastiques.
Irrémédiablement attiré par le milieu de la création – parfois dans ce qu’il a de plus alternatif –, il crée en 1998 une galerie éphémère au cœur de Nancy. Un bastion où se retrouve son clan et où l’on parle plus d’initiatives novatrices que l’on ne s’emploie réellement à les développer. Mais Fred renifle rapidement l’intérêt d’un concept encore balbutiant : Internet. Il se procure et apprivoise Flash 2 – un logiciel que les jeunes graphistes actuels situent probablement quelque part entre l’âge de glace et l’âge de pierre – et improvise le site de sa galerie. Un travail de pionnier réalisé avec suffisamment de pertinence pour que plusieurs de ses visiteurs passent commande. Jusque-là occupé à développer sa galerie et Souldust, un projet de coulage de cendres funéraires dans des bronzes – « concept qui reste révolutionnaire pour qui aurait le courage de le développer » affirme-t-il – il se retrouve à consacrer l’essentiel de son temps au webdesign : « C’était encore un territoire vierge. Il y avait une énergie dingue dans cette époque, malgré le faible équipement et des contraintes technologiques inimaginables aujourd’hui, » explique-t-il.
Bien que multipliant les allers-retours entre Nancy et Paris, c’est au Luxembourg qu’il fera sa véritable entrée professionnelle. Découvert par l’agence CMI via ses nombreux sites web, il y passera quatre ans, le site du Casino Luxembourg restant comme l’un des nombreux témoignages d’une époque où il sortit de son étroit costume de créatif web. Récupéré plus tard par l’agence Bizart, il gravit rapidement les échelons pour en devenir le directeur artistique. Une ascension assurée par un sens du bon mot et cette faculté à mettre fin à une interminable réunion créative en jetant à l’assemblée l’idée qui fera consensus. Armé de davantage de bon sens que de diplomatie, faisant de la franchise quelque chose de rassurant pour un client, Fred Thouillot est, pas après pas, devenu l’une des figures de la communication au Luxembourg.
Assez, en tout cas, pour que le Landerneau ne s’émeuve – ou ne s’inquiète – de sa décision récente de lancer sa propre agence. L’ambition n’étant pourtant pas de vampiriser le marché. Fred Thouillot : « Je crois juste que 40 ans, c’est un bon âge pour écrire sa propre histoire. J’étais entré dans ce milieu pour avoir un métier, c’est devenu une passion. J’ai toujours eu l’envie de développer une marque… je devais le faire ». Avec des personnalités telles que l’entrepreneur Jean-Claude Bintz dans sa sphère familiale immédiate, il est facile d’imaginer à quoi furent employés les espaces de conversations offerts entre la poire et le fromage. Le nom même de la société, Granduchy et le blason noir et blanc qui y est associé ont déjà rempli leur premier objectif : certains y voient de l’arrogance, d’autres saluent l’acquisition d’un nom de domaine étrangement disponible, mais tous en parlent. Fred n’en attendait pas moins, même s’il sait que le buzz est un épiphénomène, sur lequel il faut certes surfer, mais qui ne vaut rien s’il n’est pas suivi de réalisations : « Je ne souhaite pas, pour l’heure, faire autre chose que ce que je sais faire le mieux : du consulting en communication et publicité ».