Des perles qui explosent dans la bouche, du croquant qui fond ensuite, des glaces salées, des écumes et des mousses : la cuisine moléculaire est plus que jamais à la mode. Sous ce terme générique se cache un peu tout et n’importe quoi, du bon et du moins bon, du naturel et de chimique, de la recherche et de la fumisterie. Entre toutes ces voies, Yves Radelet a choisi : ce sera naturel, goûteux, beau et bon. Pour arriver à cela, le chef a mûrement réfléchi, testé, chipoté, procédé par essais et erreurs et surtout remises en question presque quotidiennes.
Formé sur le terrain – « on n’apprend pas la cuisine dans les livres » – Yves Radelet, qui aura quarante ans cet été, est passé par diverses maisons étoilées en Belgique (Le Prince de Liège, Zur Post et Comme chez soi, respectivement une, deux et trois étoiles Michelin) avant d’arriver au Luxembourg, comme chef de partie au Patin d’Or en 1994. « On apprend de chaque expérience, pas seulement des techniques, mais surtout la rigueur, l’organisation, la gestion. C’est la jungle, il faut montrer sa motivation, son envie d’apprendre, sa polyvalence ». Parallèlement à cette accumulation de postes, il brille dans divers concours qui lui assurent une certaine notoriété et réputation d’excellence. Ambitieux, il décide à 25 ans de voler de ses propres ailes et devient chef de cuisine à l’Hostellerie de Bourscheid, repassera un temps à Gembloux, puis reviendra au Luxembourg, à l’Auberge de la Gaichel.
Ayant atteint « une certaine maturité professionnelle », Yves Radelet peut se permettre de s’éloigner des classiques et de proposer une carte « évolutive » où la fusion des continents, la présence d’épices et le mélange d’arôme lui valent une certaine reconnaissance. En désaccord avec ses patrons, il décide, en 2005, de « sauter le pas » et d’ouvrir un établissement à son nom. Ce sera l’ancien Am Pays à la rue du Curée où il pourra enfin donner libre cours à ses envies. « La cuisine gastronomique, c’est trop souvent de la cuisine bourgeoise améliorée, dans un bel écrin. Je voulais faire autre chose, inventer, créer ». Pour ne pas brusquer le client, il commence à mettre deux cartes en parallèle, l’une classique, l’autre évolutive, voire moléculaire. « Quand on sert une glace à la béarnaise avec l’entrecôte, il faut expliquer, rassurer », se souvient Mireille, sa femme qui l’accompagne en salle et se frotte aux étonnements voire aux agacements des clients de l’époque.
Pour répondre aux techniques moléculaires, Yves Radelet va rechercher les meilleurs composants du marché. Ces algues qui permettent la création de gels, sphères, mousses sont de qualité et de goûts très variables, puisque certaines sont réservées à la dentisterie, voire à l’informatique. En en testant une trentaine, le chef a trouvé ce qu’il cherchait et a développé ses propres produits qu’il vend d’abord aux professionnels (à La Provençale notamment), mais aussi sur internet (www.lesoriginaux.eu). Outre l’aspect créatif, nouveau et inventif, ce qui intéresse le chef, c’est d’abord le produit : sa provenance, son goût, ses qualités nutritives... Et pour travailler, triturer, transformer, transfigurer le produit sans le dénaturer, sans rien lui enlever de ses propriétés organoleptiques et nutritives, Yves Radelet a trouvé la technique qu’il lui fallait : la lyophilisation. Il s’agit d’enlever l’eau du produit par le froid (-50°) et d’ôter l’air par les basses pressions. En travaillant avec la faculté d’agronomie de Gembloux, il a pu développer une telle machine et fait tourner dans son « laboratoire » des kilos de mandarine, de fraises ou de menthe qui seront ensuite utilisés dans les préparations. Là aussi, ses « originaux » sont vendus aux collègues comme aux particuliers. « Non seulement toutes les propriétés sont gardées, mais en plus on les utilise sans liquide, ce qui est particulièrement bien en pâtisserie ».
En plus de ces développements, la famille Radelet a trouvé, il y a trois ans, une nouvelle adresse, à Belair où recentrer ses activités. Seulement une vingtaine de couverts pour des clients qui « savent pour quoi ils viennent ». On ne vient pas ici pour du veau aux morilles ou pour une sole Dugléré, fussent-ils excellents, mais pour des déclinaisons de King crabe aux mangues et noisette ou un filet de canette en cuisson douce avec épices maison. « Les clients, habitués ou non, aiment être surpris, découvrir des textures qu’ils ne connaissent pas. » Le tout avec une carte qui change tous les mois « pour coller au plus près aux saisons ».