La chevelure blanche lui confère un air de sage grec revenu de l’Antiquité pour nous renseigner sur la valeur intrinsèque liée à la notion du passage ; notre passage sur Terre, le passage des objets qui nous entourent, la beauté de toute chose éphémère. Dans ses yeux bleus azur, il est impossible de déceler autre chose qu’une éternelle et douce quête de vérité, engendrée par une faculté transcendantale d’être en relation étroite avec une certaine forme de spiritualité, décriée de nos jours, parce que peut-être une découverte qui restera à l’état embryonnaire chez la plupart de nous. Il est d’autant plus difficile de vouloir transmettre les valeurs positives de ce don, parce que croyance rime de nos jours avec religion, qui sera pour toujours synonyme de malheur.
Quand on regarde la physionomie du visage de Robert Cahen, on ne peut s’empêcher de penser à la grâce, ce sentiment religieux qui est, dans la théologie, une disposition de faveur divine. Que cette disposition trouve sa matérialisation dans l’image électronique virtuelle n’étonne pas quand on pense à d’autres grands créateurs de l’art vidéo, tel un Bill Viola, dont l’œuvre présente des similitudes de par sa technique du ralenti, servant à enfanter d’une quête spirituelle qui voit le jour sous forme de projections d’images en mouvement qui ne sont pas de ce monde.
Cahen dispose définitivement de ce regard vierge propre à l’enfance, avec lequel il parcourt le monde depuis plus de quarante ans maintenant, une caméra numérique à la main. Ses pérégrinations, ses divagations et ses errances, il les retravaille au montage, une fois de retour en France. Habitant à Mulhouse, cette ville post-industrielle alsacienne où la misère règne, il pose un deuxième regard sur ses images, voir un premier, vu que la caméra est finalement le meilleur moyen d’enregistrer des souvenirs, ce qui empêche avant tout de percevoir le présent, de vivre l’instant, avec comme seul but de mieux le revivre après, en scrutant le regard des observés qui ont regardé l’observateur à l’œuvre quand il les filmait.
Ces regards adressés à la caméra de Cahen sont visibles à la galerie Lucien Schweitzer, qui expose un échantillon des œuvres du vidéaste, issu du Groupe de recherches musicales (GRM), dans lequel il a fait ses armes au côté de Pierre Schaeffer, père et inventeur de la musique concrète. C’est par cette musique des objets que Cahen en est venu à la vidéo. De l’oreille à l’œil, le parcours inversé des Sept visions finalement, qui enferme sept moniteurs dans des caisses de bois oblongs, ce qui crée une intimité de la vision, entre la froideur de la facture de l’image numérique et le bois, cet élément naturel qui ne semble plus appartenir à notre monde citadin contemporain.
Les regards deviennent plus récurrents une fois qu’on se perd dans les méandres de la galerie et déploient leurs ailes dans l’œuvre Attention ça tourne, dans laquelle un tondo (cercle en bois actionné par un moteur) peint par l’artiste Guido Nussbaum tourne sur lui-même. Ce tondo est recouvert d’une couche de peinture évoquant la géographie planétaire sur laquelle viennent se greffer les images d’un monde lointain, capté par Robert Cahen. Un simple plan séquence, une caméra qui avance dans une foule, et des gens qui regardent dans l’objectif de l’homme à la caméra. Le tout au ralenti, mais pas un de ces ralentis esthétisés et dénués de sens, issu du monde du clip vidéo. Un ralenti combiné à des effets de morphing qui nous mettent en présence des interstices du temps qui se trouvent entre deux images numériques.
Cet espace indicible dans lequel le temps réel se cache, loin de celui que nous connaissons, dans lequel on n’effleure que les apparences. Ce qui implique qu’il faut se prendre le temps pour découvrir la richesse de ces œuvres, parce qu’elles nous demandent de nous adapter à leur rythme, de sortir du nôtre, qui est dicté par une rapidité qui nous fait survoler la beauté du monde. Alors que Robert Cahen nous tend la main, dans Paysages d’Hiver, pour vivre et revivre sur deux écrans de manière décalée deux fois les mêmes images, provenant d’une blancheur extraterrestre dans laquelle très peu de gens ont pu mettre les pieds. Cette blancheur nous atteint définitivement dans Traverses, l’œuvre la plus enfouie, l’anti-chambre du paradis : dans une brume vague des êtres humains apparaissent mystérieusement, s’arrêtent, nous regardent et disparaissent aussitôt. D’où viennent-ils ? Où iront-ils ? Autant de questions sans réponses que seule une confiance sans faille dans l’humanité issue du regard altruiste cahenien peut bercer avec bienveillance.