Commerce de chambres

Taudis et clapiers

d'Lëtzebuerger Land du 05.09.2002

Les murs pourris par des champignons, des guirlandes de fils électriques, des panneaux en carton servant de cloisons pour diviser les chambres, des barreaux devant les fenêtres - s'il y en a -, des sanitaires et des poubelles dans les chambres, une plaque chauffante en guise de cuisine, la vaisselle trempée dans la cuvette de la douche, des garages réaménagés en logement sans isolation. Les dossiers de la police et du service logement de la Ville de Luxembourg regorgent d'images de cambuses insalubres, malsaines et dangereuses. 

 

Le commissaire en chef du service régional de polices spéciales (SRPS), Jean Peters, suit en ce moment quelque 160 établissements de près, plus ou moins mal tenus, dans lesquels des chambres sont louées à des prix allant de 400 à 560 euros par mois, voire plus. Ce sont souvent des lieux de misère habités parce que les locataires n'ont pas les moyens de se payer une garantie locative ou parce qu'ils se sont vus claquer la porte au nez à cause de leur situation sociale. Car la pénurie de logements au Grand-Duché les touche de plein fouet, ils n'appartiennent guère aux candidats de premier choix, même s'ils ne sont pas tous mal lotis. 

Ce sont des personnes travaillant surtout dans le secteur Horeca, n'ayant pas leur domicile près de leur travail, des gens divorcés ou séparés devant payer des pensions alimentaires à leur ancien conjoint, RMGistes, sans-papiers, drogués, prostitués, étudiants ; tous victimes d'un commerce de propriétaires sans scrupules ?

 

« Il faut trancher au cas par cas. Chaque établissement a sa propre histoire et le degré d'insalubrité est variable, explique Jean Peters. Lorsque nous effectuons des contrôles, nous nous basons sur les critères définis par la loi. Au fur et à mesure que nous passons des locations au peigne fin - dès la création de la section SRPS il y a deux, trois ans - notre jugement sur ce qui est admissible ou insupportable s'est défini d'un point de vue assez réaliste. » 

 

Le règlement grand-ducal du 25 février 1979 détermine les critères de location, de salubrité ou d'hygiène auxquels doivent répondre les logements destinés à la location et aux logements collectifs. À cette époque, il s'agissait de contrecarrer les abus dus à l'afflux de main d'oeuvre étrangère au Grand-Duché. Les immigrés étaient souvent logés par leurs patrons dans des conditions inhumaines. De simples dortoirs servaient d'habitation à toute une équipe de travailleurs, et il leur arrivait de devoir s'organiser de manière à ce qu'ils soient en congé de maladie à tour de rôle pour s'occuper du ménage et de la popote.

 

Un véritable commerce s'était créé allant même jusqu'à louer des lits selon les horaires de travail des ouvriers. Ce roulement a été interdit par le législateur et semble avoir disparu lorsque des familles entières immigraient au Luxembourg et non plus seulement des célibataires ou les maris. « Même si ce phénomène semble appartenir à une autre époque, il faut rester vigilent, ajoute Jean Peters. Avec l'élargissement de l'Union européenne, il est possible qu'il reprenne. C'est surtout le cas pour les travaux saisonniers pour lesquels la main d'oeuvre ne demeure que pour quelque temps au Grand-Duché. » 

 

Plus récemment, la police prenait surtout les conditions de logement des artistes de cabarets en ligne de mire. Des chambres minuscules sans fenêtres ou pourvues d'un grillage n'en sont qu'un exemple. La situation semble avoir changé entre-temps parce que de nouveaux établissements ont été ouverts, entraînant la réduction du nombre d'artistes travaillant dans un même cabaret et donc, de meilleures conditions de location.

 

Plus récent, le problème des logements de la population asiatique. Celle-ci a une autre perception de la qualité d'un logis - les critères grand-ducaux lui semblent souvent démesurés par rapport à ce qu'elle a vécu en Chine, par exemple.

 

Selon le règlement grand-ducal de 1979 et ses modifications en 1993, une personne doit disposer d'au moins neuf mètres carrés pour elle seule (les souliers hommes/ femmes sont un indicateur précieux pour les contrôleurs pour constater qu'il n'y a bien qu'une seule personne). C'est le double pour deux personnes, 24 mètres carrés pour trois et trente mètres carrés pour quatre résidents. Les pièces doivent être hautes d'au moins deux mètres vingt, ce qui exclut la plupart des mansardes au plafond incliné. Elles doivent être meublées d'un lit, d'une armoire, d'une table, d'une chaise, d'un matelas, de couvertures et d'un oreiller. Les lits superposés sont interdits, la literie doit être changée tous les quinze jours et le locataire doit avoir la possibilité de laver et sécher son linge. 

 

Pour les logements collectifs, c'est un WC et une douche pour six habitants au maximum, un lavabo pour deux, une pièce de séjour d'au moins douze mètres carrés, une cuisine équipée, une buanderie et un débarras. L'entretien est assuré par le propriétaire ou le gérant de l'immeuble. Ils doivent aussi déclarer cette activité à la commune et fournir des détails sur leur immeuble et les loyers. 

 

Les contrôles : en Ville, c'est le service logement qui s'occupe de cette tâche et le SRPS. En cas extrême, le bourgmestre a le pouvoir de fermer un établissement - deux fois jusqu'à présent -, mais il est obligé de reloger les locataires. Cette mesure n'incite guère à la fermeture si l'on tient compte de la pénurie de logements dont la commune n'est pas exclue. 

La police, quant à elle, peut dresser un procès-verbal remis ensuite au parquet. « Tous les dossiers que nous avons adressés à la justice ont eu une suite. Cette année-ci, nous en avons eu cinq qui ne sont pas encore passés devant les juges, explique Jean Peters. En général, une affaire prend huit mois avant d'être traitée. » La loi prévoit une amende jusqu'à 125 000 euros et/ou une peine de prison entre huit jours et trois ans. 

 

Une sanction certes impressionnante, mais elle ne semble guère avoir d'effets, compte tenu des 160 dossiers suivis par la police. « Nous effectuons surtout un travail de prévention, précise le commissaire en chef. Les gérants d'établissements ne sont pas toujours au courant des dispositions de la loi et nous les en informons avant d'engager une procédure. La répression est pour nous le dernier recours. C'est aussi l'approche du parquet. Nous allons sur les lieux et nous fixons un délai pour les modifications et réparations. Ensuite, nous allons vérifier si les travaux ont été effectués. Si nous nous rendons compte que rien n'a été fait, nous dressons un procès-verbal. Mais en général, il n'est pas nécessaire d'en venir là. » 

 

Le problème majeur n'est pas de localiser les logements délabrés - la police a souvent l'occasion de s'en rendre compte, par exemple lors d'une querelle entre voisins ou d'un contrôle d'identité, quand elle se rend sur place. L'information est alors transmise à la cellule responsable pour les dossiers logements qui va inspecter les lieux. D'autre part, les locataires eux-mêmes peuvent s'adresser aux autorités s'ils se sentent lésés. « Nous pourrions nous limiter à cette seule activité de contrôle, si nous en avions le temps et les moyens. Mais la SRPS a encore d'autres tâches à effectuer et les dossiers concernant le logement ne semblent pas prioritaires. » Ni assez spectaculaires pour y affecter plus de personnel.

 

Paradoxalement, plus personne ne gagne gros en exploitant ce genre d'établissements parce que les frais d'entretien - à condition que la maison soit bien entretenue - sont assez élevés. En général, les brasseries louent des immeubles entiers à un gérant qui sous-loue des chambres à son tour. Les gérants d'un bistrot récupèrent donc non seulement le local en soi, mais toute la maison. Le loyer est en revanche très élevé parce que l'exploitation des chambres est comptabilisée d'office. Le gérant n'a donc pas le choix : il doit s'occuper du bistrot et des chambres pour être capable de payer son loyer. 

 

Celui-ci est donc peu motivé pour fournir plus de confort que le minimum nécessaire. Au contraire, il se retrouve souvent devant le fait accompli lorsqu'il entreprend la gestion de la maison : des chambres insalubres, des conditions de sécurité et d'hygiène catastrophiques et des locataires peu respectueux du mobilier et peu fiables pour régler leur dette dans les délais. 

 

Dans ce cas-là, les responsabilités ne sont pas claires. Est-ce le gérant, la brasserie ou le propriétaire - lorsque la brasserie ne l'est pas elle-même - qui a la tâche de garantir que les logements correspondent aux dispositions fixées par la loi ? 

 

« Parfois, les contrats entre brasseries et gérants excluent expressis verbis la sous-location, explique Jean Peters. Mais en regardant de plus près le loyer fixé, on peut se rendre compte que le gérant ne sera jamais capable de fournir une telle somme tant qu'il ne sous-louera pas. C'est un secret de polichinelle. » 

 

Un moyen pour les brasseries de se soustraire à la responsabilité ? Certaines d'entre elles assument et paient les rénovations nécessaires, mais pas toutes. En ce moment, une affaire est en cours contre une brasserie, dont le jugement pourrait avoir effet de jurisprudence. 

 

anne heniqui
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