« Des prix fous pour des gens normaux. » C'est ainsi que le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a vu la situation du marché immobilier au Grand-Duché, dans sa déclaration sur l'état de la nation la semaine dernière au parlement. « Et encore, rétorque le député maire socialiste de Dudelange, Mars di Bartolomeo, le chef du gouvernement se base sur des chiffres anciens, périmés depuis longtemps. Que dirait-il s'il connaissait les prix réels ? »
Quoi qu'il en soit, des mesures concrètes sont annoncées pour le mois de juin, précision importante qui permet d'espérer qu'elles ne pâliront pas dans l'ombre d'un quelconque ministère. Un voeu pieux, selon Mars di Bartolomeo, connaissant les lenteurs procédurales qu'attendent les initiatives fraîchement annoncées - sa propre proposition de loi sur l'aide au logement a été déposée fin janvier et n'a toujours pas refait surface.
Toutefois, il salue ces mesures, même si elles ne sont pas révolutionnaires : le Conseil économique et social et le Premier ministre lui-même n'ont cessé de répéter ces dernières années qu'il fallait lutter contre la surchauffe des prix sur le marché immobilier et encourager la vente de terrains à bâtir « même si d'aucuns reconnaissaient dans ces mesures le retour d'un certain communisme ».
D'abord la construction de neuf mille logements au lieu de quelque quatre mille prévus dans le plan quinquennal du ministère du Logement avec plus du double du budget, soit 1 071 millions d'euros. Ce sont des projets dans quatre grandes zones d'assainissement - Differdange, Dudelange, Echternach et Wiltz - qui fourniront 1 387 logements. Ensuite, le Fonds pour le logement à coût modéré s'occupera de trois grandes zones de réserves foncières comprenant un territoire de 53 hectares, dont Esch-sur-Alzette et la Ville de Luxembourg. Sur d'autres terrains, le Fonds compte réaliser 65 projets comprenant 2 062 unités. Diverses communes veilleront à la réalisation de 70 projets comprenant 727 logements. La Société nationale des habitations à bon marché se chargera de son côté de six grands projets à 1 290 habitations ; 470 unités seront réalisées par les employeurs privés, des asbl et des hospices civils. S'y ajoutent les grands programmes annoncés il y a quelque temps sur les sites d'Esch-Belval et le plateau du Kirchberg.
Autre annonce du Premier ministre : l'élaboration de plans de développement de logements entre l'État et les communes, réalisés par étapes selon les impératifs de l'aménagement du territoire. Le gouvernement a donc déjà abandonné l'idée du programme d'action logement présenté en décembre dernier (voir d'Land du 14 décembre 2001), selon laquelle « il est prévu d'instaurer, en coopération avec le Syvicol (le syndicat des communes ndlr.), un nouveau système de subventionnement par l'État en vue d'encourager les autorités communales à créer les infrastructures socio-économiques requises suite à un accroissement de leur population dû à la construction de nouveaux logements ». L'affirmation que le ministre de l'Intérieur avait entre-temps pris contact avec plusieurs communes pour élaborer une sorte de plans de financement faits sur mesure - des « mécanismes-fantaisie » selon le maire de Beckerich et député des Verts, Camille Gira - en a étonné plus d'un. Même au ministère de l'Intérieur, on ne connaît qu'un seul exemple concret : celui de Sanem, concernée par le site d'Esch-Belval, ayant requis d'urgence un soutien financier de l'État pour la construction ou l'extension de l'école. Il est donc fort improbable que de tels programmes aient été élaborés pour les communes destinées à accueillir les neuf mille logements annoncés.
Le renforcement du rôle de d'État et des communes en tant que régulateurs est à la base des discussions. « Nous avons besoin de mesures contraignantes pour pouvoir gérer cette crise du logement, précise Camille Gira, le gouvernement va certes dans cette direction, mais ses mesures sont trop hésitantes. Il est toujours trop attaché au principe sacro-saint du droit de la propriété ». Affirmation confirmée par le député libéral Jean-Paul Rippinger lors de son allocution à la tribune du parlement : « Le parti libéral soutient la propriété et le droit à l'acquisition ; une taxe spéculative ne saurait toucher tous les propriétaires de terrains. » C'est aussi pour cette raison que le Premier ministre a déclaré qu'une telle sanction ne serait prévue qu'en 2005, au cas où les autres mesures n'auraient pas d'effet.
« Cela fait quatre ans que Jean-Claude Juncker tient un discours musclé contre la spéculation et qu'il annonce que l'État allait vendre massivement ses terrains pour casser les prix, rappelle Mars di Bartolomeo, maintenant, il reporte le combat à 2005. Il devrait le mener parallèlement aux autres mesures. » Même le député PCS Lucien Clement s'est engagé pour l'augmentation de la taxe foncière dans le CSV-Profil du 16 mars : « Über den Weg einer progressiven Erhöhung der Grundsteuer kann jedoch ein Eigentümer dazu gebracht werden, eindringlich darüber nachzudenken, ob der Verkauf seiner Parzellen auf Dauer nicht doch rentabler wäre, als diese weiterhin (...) zurückzubehalten ». Opinion partagée par Camille Gira qui propose des taxes foncières différentes pour les agriculteurs ou les particuliers souhaitant garder leurs lopins dans le périmètre pour les descendants : « dans ces cas-là, on pourrait envisager de déclasser ces terrains pendant une certaine période pour être sûr qu'ils serviront à cette cause et non à engraisser le portefeuille. Par son attitude hésitante, le gouvernement se fait la part belle ; il annonce des sanctions qui devront être prises par le prochain gouvernement. Il devrait au contraire faire agir le principe de la carotte ou du bâton pour être vraiment crédible ».
La crédibilité du gouvernement est en jeu - sous peine de se voir reprocher de favoriser les propriétaires et les promoteurs. « C'est une illusion de croire que les prix vont baisser par la diminution des taxes liées à la vente de terrains ou d'immeubles, estime Camille Gira, même si la vente sera favorisée par cette mesure temporaire, elle ne découragera pas les promoteurs à acheter et à attendre pour revendre jusqu'à ce qu'on ait la même situation qu'aujourd'hui. Elle permet juste au vendeur de s'enrichir davantage. »
Premier test de crédibilité de l'État : la vente aux enchères de terrains appartenant au Fonds d'urbanisation et d'aménagement du plateau de Kirchberg. Elle devait avoir lieu cette semaine, mais elle a été reportée en dernière minute - officiellement pour des raisons techniques. La crainte que les promoteurs ne jouent la surenchère sur ces terrains du Kirchberg a fait renoncer les autorités à cette vente (voir page 11). On aurait pu facilement reprocher à l'État de contribuer à la surchauffe du marché, de faire fi de ses propres sermons - surtout qu'il s'agit de terrains expropriés qui auraient été revendus à prix d'or. Jean-Claude Juncker aurait eu l'air malin, ayant déclaré une semaine plus tôt, la main sur le coeur : « En fait proposéiert d'Regirung de Leit en Deal. Deen Deal ass datt de Staat alles mecht fir de Wunnéngsproblem an de Grëff ze kréien. Hie mecht de Leit Vertrauen, inzitéiert, suggeréiert, animéiert. Geet dat schief - wat de Beweis derfir wier datt fir d'éischt no sech aplaz och no denen anere gekukt get - da gëtt sanktionnéiert ».
Selon le député maire de Beckerich, les mesures annoncées par le Premier ministre devraient être conditionnées par le fait que les pouvoirs publics - l'État, les communes et le Fonds du logement - bénéficient de la primauté de l'acquisition de terrains ou de logements pour pouvoir ensuite les revendre à bon marché, ou du moins à des prix réalistes : « nos communes sont désavantagées par certaines pratiques courantes 'd'arrangements'. Elles n'ont pas les moyens de fournir de l'argent noir en plus du prix officiel, elles n'ont pas non plus les moyens de trouver des compensations comme ces promoteurs qui réservent des terrains du futur lotissement aux enfants du vendeur par exemple ».
Camille Gira propose en plus la création d'un fonds permettant aux communes d'obtenir des prêts sans intérêts destinés à l'acquisition et la rénovation d'anciennes maisons comme les grandes fermes, dans lesquelles pourraient s'installer plusieurs ménages au lieu d'un seul, où les communes pourraient envisager de créer des petits commerces ou des bureaux.
Mars di Bartolomeo a aussi en tête l'idée d'un fonds qui permettrait d'accumuler des réserves foncières. Celles-ci pourraient être exploitées selon un concept intégrant d'autres paramètres comme les transports, les écoles etc. Il regrette cette énorme perte de temps et aussi qu'aucune discussion, aucun pacte n'existe entre l'État et les communes. Il est favorable aux mesures fiscales annoncées pour les vendeurs de terrains ou d'immeubles. Il est aussi d'accord avec la suppression de la taxe d'enregistrement qui n'est en revanche que la confirmation d'une situation de fait, car, comme l'a déclaré le ministre du Logement, Fernand Boden, récemment au Télécran : « Den so genannten 'teuren' Akt zahlt ohnehin fast niemand mehr, da sind keine wesentlichen Änderungen geplant ».
Dorénavant, la TVA sera fixée d'office à trois pour cent pour les travaux de réaménagement, d'agrandissement et de rénovation d'un logement, ce qui évite de longues attentes de remboursement par d'administration de l'Enregistrement. Une mesure urgente selon Mars di Bartolomeo, toutefois stupéfait que le gouvernement n'y ait pas inclus la construction de nouveaux logements : « ce ne sont que des demi-mesures sans logique ».
Un débat d'orientation sur le logement est en préparation par la commission parlementaire. Il était programmé en automne, mais il risque de ne plus être d'actualité, maintenant que le fait est accompli. Mars di Bartolomeo ne l'entend pas de cette oreille-là : « Les propositions du gouvernement ne sont que quelques éléments de solution au problème. La commission a, elle, d'autres visions pour gérer la crise qui vont au-delà du simple ressort du ministère du Logement. Nous allons ficeler ces mesures et les présenter en juin, s'il le faut ».
Le gouvernement semble donc vouloir relancer la dynamique - du moins pour le court et le moyen terme. Néanmoins, les opportunités de vastes constructions de logements telles qu'au Kirchberg ou sur les friches industrielles d'Esch-Belval sont limitées. Il paraît aussi qu'une autre idée serait en train de germer dans les esprits : le gouvernement envisagerait d'ouvrir un livret d'épargne pour chaque nouveau-né et y apporterait une première dotation de quelque 125 euros par exemple. Ce livret serait plus tard un moyen pour que son porteur puisse bénéficier d'une garantie de l'État pour accéder à un prêt immobilier. Les modalités de cette idée ne sont pas encore fixées, une oeuvre en gestation - le ballon d'essai est lancé.