Le débat public qui a été demandé par le député socialiste du sud Mars di Bartolomeo sur la politique des logements et l'évolution des prix des terrains à bâtir et qui interviendra au mois de juillet risque d'être décevant et de se résumer, une fois de plus, en déclarations de bonnes intentions. Si di Bartolomeo a pris au mot le Premier ministre qui a menacé, il y a quelques mois, de mettre sur le marché des terrains appartenant à l'État dans le but de faire baisser les prix de l'are, devenus prohibitifs pour les citoyens lambda, on peut sérieusement émettre des doutes sur l'efficacité d'une telle mesure, si tant est d'ailleurs qu'elle soit un jour exécutée.
« Il y a eu jusqu'à présent beaucoup de débats sur le logement » reconnaît le député lui-même qui doute de l'impact à long terme sur les prix d'une commercialisation à des taux réduits des lopins de terre publics. « J'ai bien peur, poursuit-il, que les annonces du Premier ministre disant qu'il faut stopper la spéculation immobilière ne portent pas très loin, car sans une approche concertée de tous les acteurs publics, ce genre d'initiative se résumera à un coup d'éclat sans lendemain. » Cette approche concertée prêchée par le député signifie une véritable petite révolution dans la culture luxembourgeoise : réforme de l'impôt foncier jugé « ridiculement bas », pénalisation des propriétaires faisant de la rétention de terrains à bâtir dans un but purement spéculatif, taux d'imposition favorables pour les agriculteurs qui vendent leurs terres à l'État ou aux communes, mesures d'encouragement public aux communes qui s'engagent dans une politique de lotissement active etc. Car il ne suffit pas de construire des lotissements, encore faut-il que les localités puissent accompagner, en terme d'infrastructures, scolaires notamment, le développement démographique. Construire un lotissement d'une quarantaine de maisons se traduit par l'arrivée d'autant, sinon plus d'enfants, qu'il faut scolariser ou mettre en crèche. « L'État qui finance la construction de halls sportifs à hauteur de 30 voire même 50 pour cent, ne prend en charge que cinq pour cent des budgets de construction des écoles » rappelle Mars di Bartolomeo.
Ses propositions sur la rationalisation de l'utilisation des terrains à bâtir pourraient déboucher sur une autre révolution, celle de la culture résidentielle luxembourgeoise : moins de villas grandes consommatrices de mètres carrés et plus de maisons alignées sur le modèle des cités pavillonnaires construites par le Fonds du Logement. « Il faut mieux utiliser les terrains et revenir à l'approche des années 50. » Nostalgie des petites maisons d'ouvriers ?
En attendant, les prix de l'immobilier ont atteint des niveaux qui rendent difficile l'accession à la propriété et qui ne sont sans doute pas près de baisser. Le Luxembourg, havre d'opulence, est et restera cher, du moins aussi longtemps que la croissance économique poursuivra le même rythme que par le passé. Constat qui vaut aussi bien dans le secteur de l'immobilier de bureaux où le stock de surfaces disponibles est dramatiquement bas (moins de un pour cent au début 2001) que dans le résidentiel.
« La mise sur le marché de terrains de l'État pourra tout au plus stabiliser les prix pendant quelques mois, mais à long terme cela ne va rien changer, encore faudrait-il savoir ce qu'il va mettre sur le marché, et quand », explique un professionnel de l'immobilier résidentiel. « Ce qui est rare est cher et la pierre est le meilleur investissement spéculatif que les gens peuvent faire au Luxembourg » ajoute-t-il.
Romain Thill, président de la Chambre immobilière du Grand-Duché de Luxembourg estime pour sa part qu'une stabilisation des prix ne peut pas intervenir dans l'état actuel d'un marché où l'offre suit difficilement la demande. D'abord parce que les délais de traitement des dossiers d'autorisation de lotissement, qui sont théoriquement fixés à cinq mois, traînent dans la longueur et se comptent plutôt en années en raison de la complexité de la procédure administrative. Un projet de loi sur l'aménagement des communes prévoit d'ailleurs de réformer cette procédure (qui remonte pour l'essentiel aux années trente) et d'en réduire les délais théoriques à deux mois.
Il n'existe pas à ce jour d'inventaire complet du patrimoine foncier public susceptible d'être affecté à l'usage résidentiel. Le ministre des Finances a dû reconnaître récemment que l'examen des terrains et immeubles appartenant à l'État qu'il a demandé « il y a quelques mois (l'été dernier Ndlr) aux départements ministériels (...) en vue d'identifier les propriétés qui peuvent être réaffectées ou céd-ées n'était pas prêt vu l'ampleur des travaux ». Les résultats de cette collecte seront seulement connus au mois de mai.
Pourtant, le ministère des Finances dispose depuis 1997 d'une banque de données quantitatives et qualitatives sur les biens domaniaux. L'État sait donc parfaitement ce qu'il possède. Il est propriétaire de plus de 20 000 parcelles cadastrales parmi lesquelles figurent beaucoup de forêts. Une infime partie de son patrimoine est située à l'intérieur des agglomérations et donc susceptible d'être reconvertie en surfaces résidentielles. Les quelque 20 000 parcelles correspondent à 96 kilomètres carrés de forêts domaniales, 29 kilomètres carrés de terrains industriels et 27 kilomètres carrés de domaines culturels, scolaires ou sportif. C'est sur cette partie que l'État espère pouvoir dégager des lopins de terres pour y construire des logements avec le but avoué de soulager la demande et de faire ainsi baisser les prix. Il ne faut pas s'attendre à la libération de milliers d'hectares. De plus, en l'absence totale d'indicateurs officiels fiables sur les prix des terrains au Grand-Duché, il sera difficile de mesurer l'impact d'une telle initiative.
Les prix moyens des terrains avancés en décembre dernier par Jean-Claude Juncker dans un document parlementaire, laissent rêveur. Ces données ont été exhumées de la base de données du Statec qui s'alimente lui-même des informations de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines qui les puise à son tour des actes notariés. Il s'agit de l'unique source pour les statistiques des ventes de biens immobiliers au Luxembourg.
« Ces données cachent beaucoup de choses » indique un responsable du Statec. « Elles sont fiables pour autant que les prix indiqués dans les actes notariés soient fiables » ajoute-t-il. Ce qui est loin d'être le cas. L'affaire du triplex de plus de 300 mètres carrés situés au Limpertsberg du commissaire européen Viviane Reding et payé douze millions de francs n'est donc pas un exemple isolé.
L'institut de statistique doit reconnaître son impuissance à fournir des chiffres reflétant véritablement les prix du marché. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ses responsables ont renoncé à calculer, sur une base régulière, un indice des prix des terrains au Luxembourg sur le modèle de l'indice des prix à la construction qui existe déjà.
Il a donc fallu un certain toupet au ministre des Finances pour avancer un prix moyen du terrain à bâtir pour l'ensemble du pays à moins de 280 000 francs de l'are en 1998. L'institut de statistiques ne dispose pas de données plus récentes. « À 280 000 francs l'are, même dans le fin fond de l'Oesling, je suis immédiatement acheteur » commente Romain Thill qui juge ce niveau « fantaisiste ».
L'évolution sur cinq ans (1994-1998) du prix moyen de l'are se révèle encore plus étonnante: on achetait son bout de terrain 318 668 francs l'are en 1994, 332 025 francs l'année suivante, 326 719 francs en 1996 et 331 805 francs un an plus tard. Or, les prix de terrains n'ont pas baissé, au contraire.
La Banque centrale de Luxembourg a essayé à la fin de l'été dernier à mesurer l'inflation des prix des actifs immobiliers en tentant de savoir ce qui déterminait les prix des actifs immobiliers, quels étaient leur évolution réelle et leur impact sur l'inflation des prix à la consommation. Alors que la croissance moyenne des prix à la consommation entre 1975 et 1998 s'affichait à 4,28 pour cent et celle du PIB à 3,05 pour cent, l'inflation des prix de l'immobilier a été nettement supérieure à ces niveaux, à l'exception des anciens immeubles commerciaux et industriels (+ trois pour cent) et des terrains sylvicoles (+3,42 pour cent). La croissance des prix des terrains vains a été de 10,71 pour cent en moyenne, celle des terrains à bâtir de 10,27 pour cent et celle des anciens appartements de 9,49 pour cent.
Quels sont les « vrais prix » des terrains à bâtir ? Un agent immobilier affirme que le prix du marché se situe autour de deux millions l'are à Hollerich, 2,5 millions au Kirchberg et de 1,3 à 1,5 million l'are en périphérie immédiate de Luxembourg. Mars di Bartolomeo avance pour Dudelange, dont il est maire, un prix de 700 000 francs l'are.
L'évolution des prix relevés par le Statec dans différents quartiers de la capitale montre qu'il est impossible, en l'état actuel des choses, de donner une image fidèle du marché et un niveau de transactions moyen auquel s'écoulent les terrains à bâtir. La principale raison tient dans le nombre limité de transactions dans l'agglomération de Luxembourg.
L'exemple des transactions recensées par le Statec dans le quartier de Hollerich prouve combien l'effet du petit nombre peut faire basculer les chiffres dans les extrêmes. En 1996 (il n'y a eu qu'une seule vente), un promoteur a acquis 72 ares de terrain à bâtir pour un prix de 980 000 l'are. L'année suivante, le Statec a recensé dans le même quartier cinq ventes représentant quelque 790 ares pour un prix de moins de 340 000 francs. En 1998, les ventes ont porté sur 754 ares pour un prix de 423 000 francs. L'interprétation de ces données incite donc à la plus grande prudence, mais révèle aussi toute l'urgence de mettre en place des instruments d'information sur le marché résidentiel plus transparents. Le Conseil économique et social avait appelé les autorités, il y a trois ans dans un avis sur le logement, à introduire un système informatique ouvert au public, recensant de manière standardisée toutes les annonces d'achat, de vente et de location de terrains, maisons ou appartements.
En matière de logement, la politique du gouvernement relève de l'action cosmétique et l'opération coup de poing que les autorités s'apprêtent à faire en mettant sur le marché quelques ares de terrain ne sera pas de nature à régler les problèmes d'habitation de milliers de résidents luxembourgeois. La solution se trouve sans doute dans une réforme urbanistique de fond allant de pair avec l'évolution démographique d'un pays qui devrait doubler sa population en quelques décennies. Parallèlement, l'introduction de mesures politiquement courageuses pour inciter les propriétaires terriens à écouler leurs biens sur le marché, notamment l'introduction d'une taxe forte et dissuasive sur la rétention des terrains à des fins spéculatives et une révision à la hausse, à très court terme, de l'impôt foncier, pourront faire bouger les choses et assurer, peut-être, à tous les citoyens un droit fondamental, celui d'acceder à la propriété.