Les « concessions » que la Suisse a faites aux États-Unis, à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, ne sont pas passées inaperçues à Copenhague. La présidence danoise de l’Union européenne soutient qu’elles devraient « encourager » ses 27 membres à relancer le débat sur la fiscalité de l’épargne, au sein du club communautaire et avec Berne – qui devrait traiter « au moins aussi bien sinon mieux » l’Union que Washington.
Copenhague a rédigé une « note » sur les « développements internationaux récents » qui justifient, selon lui, un déblocage rapide du dossier de la fiscalité de l’épargne. Son objectif : accroître la pression sur l’Italie, le Luxembourg et l’Autriche afin qu’ils lèvent leur veto à l’ouverture de nouvelles négociations dans ce domaine entre l’Union européenne d’une part, la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et Monaco d’autre part. Le sujet devait être débattu jeudi 2 février par les experts fiscaux des 27 ; il devrait atterrir le 21 février sur la table des ministres des Finances de l’UE.
Dans sa note, le Danemark rappelle qu’il convient de s’assurer que les cinq États tiers accepteront d’adapter leurs accords sur la fiscalité de l’épargne avec l’UE aux évolutions de la législation communautaire – les 27 envisagent en effet d’étendre son champ d’application, actuellement limité aux revenus de l’épargne perçus sous forme d’intérêts par des personnes physiques, à de nouveaux produits (contrats d’assurance-vie, etc.) et à certaines entités intermédiaires (fondations, trusts, etc.).
« Plusieurs développements internationaux récents renforcent la nécessité d’agir au niveau de l’Union européenne », écrit Copenhague, en les jugeant « encourageants ». Ils concernent avant tout la Suisse.
Dans les accords surnommés Rubik que la Suisse a conclus cet été avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne, Berne a ainsi fait des « concessions spécifiques significatives », dont il s’agit aujourd’hui d’étendre le bénéfice à tous les États membres de l’Union, relève le texte. Certes, le système Rubik repose sur un impôt libératoire à la source qui permet de préserver le secret bancaire helvétique. Mais, « par exemple », le champ d’application des accords est très large, qui couvre tous les revenus perçus par des investisseurs en Suisse.
La présidence danoise de l’UE constate par ailleurs que la Suisse et ses banques ont lâché beaucoup de lest face aux États-Unis, en livrant en pâture des noms d’investisseurs au fisc américain et en décidant de faciliter les échanges d’informations entre administrations.
« Le 13 décembre 2011, le Conseil des États (c’est-à-dire la chambre haute du Parlement, ndlr) a accepté d’interpréter de façon très large les dispositions sur les échanges d’informations prévues dans l’accord préventif de la double imposition entre la Suisse et les États-Unis. » Pour peu que le Conseil national (c’est-à-dire la chambre basse) lui emboîte le pas, le gouvernement de Washington « pourra, selon son souhait, réclamer des informations sur des groupes d’investisseurs ayant un comportement particulier identique sans qu’il soit nécessaire au préalable d’identifier individuellement les personnes concernées ».
Pour la présidence danoise de l’UE, « il serait important que tous les États membres de l’Union européenne coordonnent leurs positions en vue de garantir que la Suisse traitera au moins aussi bien, si pas mieux, ses partenaires européens que les États-Unis ».
Le Danemark espère que ces arguments seront assez forts pour convaincre l’Italie de donner son feu vert à l’ouverture de négociations avec la Suisse. Rome, jusqu’à présent, juge qu’elles sont prématurées. Avant de rouvrir le chantier de la fiscalité de l’épargne, soutient le gouvernement italien, il conviendrait d’assurer une meilleure application de la législation existante.
Dans ce contexte, le Danemark propose de mener deux exercices en parallèle : engager les négociations avec les pays tiers tout en poursuivant, au niveau de l’Union européenne, des discussions sur les améliorations « procédurales » qui pourraient être apportées à la réglementation européenne.
Reste le casse-tête du Luxembourg et de l’Autriche, qui refusent d’être contraints à abolir leur secret bancaire si la Suisse n’est pas logée à la même enseigne qu’eux. Or, Berne s’y oppose. Luxembourg et Vienne dénoncent une politique de deux poids, deux mesures qui risque, selon les deux gouvernements, de provoquer une fuite de capitaux vers l’Helvétie. La directive européenne sur la fiscalité de l’épargne prévoit en effet qu’ils devront basculer du système de la retenue à la source (qui permet de préserver le secret bancaire) vers celui de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales dès que les 27 États membres auront approuvé des accords portant sur les « standards de l’OCDE », qui ne prévoient que des échanges d’informations à la demande, avec la Suisse, le Liechtenstein, etc.
La présidence danoise de l’UE donne au Luxembourg et à l’Autriche une troisième raison de faire preuve de souplesse, en agitant l’épouvantail du Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) américain.
Le Fatca, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2013 (certaines modalités d’application ont toutefois été reportées à 2014 et 2015), imposera aux institutions financières européennes un devoir de transparence totale sur les dépôts et les avoirs en compte de toutes les personnes qui ont des comptes à rendre au fisc américain. Des sanctions financières seront imposées aux banques qui ne joueront pas le jeu.
« Il est urgent de trouver une solution avec les États-Unis afin de résoudre les nombreux problèmes que provoquera le Fatca pour les institutions financières européennes », notamment en termes de surcharge administrative, écrit Copenhague dans sa note.
L’UE a déjà entrepris des négociations avec Washington. Dans ce contexte, les Européens tentent de convaincre les États-Unis d’assouplir leur position en jouant sur les « larges ressemblances » entre les objectifs du Fatca et de la législation européenne sur la fiscalité de l’épargne – lutter contre l’évasion fiscale – ainsi que les moyens de les atteindre.
Cependant, « les autorités américaines ont relevé que le champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne existante est plus réduit que celui du Fatca », écrit la présidence danoise. « Il est donc clair qu’un accord rapide sur son extension nous aiderait grandement à obtenir des résultats satisfaisants dans les discussions avec les États-Unis. » Sous-entendu : ce qui serait dans l’intérêt bien compris de l’importante place financière luxembourgeoise.