La décision des 27 de ponctionner les comptes bancaires chypriotes a eu un effet surprenant : elle a provoqué au cours du weekend une ruée en Espagne vers les applications permettant de gérer les « bitcoins », une devise alternative en ligne. Si les gouvernements peuvent s’en prendre ainsi aux économies de leurs citoyens, ont dû se dire les internautes ibériques, peut-être vaut-il mieux convertir une partie de son patrimoine monétaire en quelque chose que les gouvernants ne peuvent pas contrôler. Une déclaration du président de l’Eurogroupe les a confortés dans cette crainte : Jeroen Dijsselbloem a refusé samedi d’exclure le prélèvement d’une dîme sur les économies d’épargnants d’autres pays de la zone, même s’il a pris soin de préciser que ce n’était pas envisagé aujourd’hui.
Mais que sont donc ces bitcoins, encore relativement peu connus ? La devise en ligne a été créée en 2009 par une personne ou un collectif dont on ne connaît que le surnom, Satoshi Nakamoto. Wikipedia la définit comme une « devise digitale décentralisée fondée sur un protocole Internet open-source de pair à pair ». Un bitcoin est divisé en cent millions de satoshis. La devise alternative défie en tous points la définition commune d’une monnaie puisqu’elle fonctionne indépendamment d’un territoire et d’une banque centrale. La sécurisation des bitcoins se fait à l’aide de signatures électroniques et d’un système de codes, les « clés ». Leur création est prédéfinie et tributaire d’un rythme de renouvellement de la liste des transactions en bitcoins qui est effectuée toutes les dix minutes par chacun des serveurs affiliés : lors de cette étape, 25 bitcoins sont ajoutés au système, un montant qui sera divisé par deux en 2017, puis encore divisé par deux tous les quatre ans jusqu’en 2140,
date à laquelle la génération de bitcoins s’arrêtera entièrement alors qu’un montant total de 21 millions de bitcoins seront en circulation. Les logs du système confirment les transactions au fur et à mesure des échanges périodiques entre serveurs : chaque serveur participant au réseau contient donc une liste complète des transactions effectuées à l’aide de la devise, enrichie de confirmations reçues d’autres serveurs du réseau.
Les bitcoins ont été critiqués en raison des fluctuations assez importantes de leur valeur en dollar au cours des dernières années. Aujourd’hui, la valeur des bitcoins en circulation est estimée à quelque 400 millions de dollars US. La devise, symbolisée par un B majuscule orné de deux barres verticales, bien que convertible, se prête particulièrement bien à des transactions en ligne. Elle est stockée sur tout support électronique de son choix : ordinateur, téléphone, clé USB. À ce jour, elle a surtout séduit, on s’en doute, des geeks curieux, animés souvent par une vision du monde libertarienne.
Difficile de prédire si les bitcoins vont réellement profiter du choc provoqué par la décision inédite des autorités européennes. Mais à l’instar de l’Espagne, on peut gager que des Portugais, des Grecs ou des Italiens vont se dire que s’ils convertissent une partie de leurs économies en bitcoins, celle-ci sera hors de portée de ce que certains considèrent comme un « hold-up » sur l’épargne.
Avant de se précipiter et de convertir son livret d’épargne, il faut savoir une chose importante sur les bitcoins : les hackers en sont friands, et une fois qu’ils ont mis la main dessus, il est rigoureusement impossible de les récupérer. C’est la contrepartie du système conçu par Satoshi Nakamoto : éminemment liquides, les bitcoins appartiennent de manière irrévocable à celui qui les a en compte. Un ordinateur, une clé USB ou un smartphone sur lesquels de telles devises sont stockées peuvent devenir la proie d’escrocs spécialisés, et dans ce cas, adieu veau, vache, cochon, sans recours possible. C’est la raison pour laquelle on propose aux détenteurs de bitcoins la mesure paradoxale de sécuriser leur patrimoine sous forme de papiers, billets de banque, pièces de monnaie ou autres objets . L’un d’eux a raconté à Wired qu’il a fait graver sur une bague sa clé (sauf un chiffre, qu’il a mémorisé) qui permet, en combinaison avec une clé publique, d’authentifier ses transactions en bitcoins.