À quel coût social se construit le miracle permanent du secteur américain de l’informatique et du Net ? La radio publique NPR a levé un coin du voile sur cette question en s’intéressant à la polémique entourant une proposition de loi, promue par Microsoft, Google et autres titans du secteur, qui vise à étendre le recours aux visas dits H1-B octroyés aux travailleurs étrangers pour couvrir leurs besoins en main d’œuvre programmante.
Le président Obama a lancé cette année un vaste chantier de réformes de l’immigration, qui génère, sans surprise, des débats farouches sur la question de la régularisation des sans-papiers. La proposition de permettre aux entre-prises technologiques de recruter davantage de travailleurs qualifiés étrangers s’ils n’arrivent pas à pourvoir leurs postes vacants avec des salariés américains fait partie du paquet en discussion à Washington. Mais les programmeurs américains seniors ruent dans les brancards, affirmant qu’il n’y a pas de véritable pénurie de programmeurs sur le marché du travail étatsunien et que ces grands groupes cherchent par tous les moyens à avoir accès à une main d’œuvre meilleur marché tout en démotivant et en rétrogradant leurs programmeurs plus âgés.
Dans son reportage, NPR essaie d’analyser ce marché du travail en examinant les statistiques gouvernementales. Elles montrent que le salaire moyen des employés de l’informatique stagne ces derniers temps à un peu moins de 40 dollars de l’heure. S’il y avait vraiment pénurie justifiant un recours massif à la main d’œuvre étrangère, ce chiffre devrait logiquement être en hausse. Microsoft fait valoir de son côté que les personnes recrutées à l’étranger,
notamment en Inde et en Chine, lui reviennent en réalité plus cher que les informaticiens locaux, du fait des taxes que ce recrutement implique. Les programmeurs seniors interrogés par la radio affirment de leur côté qu’ils sont écartés d’office au profit de jeunes experts de pays tiers, citant pour preuve des petites annonces visant directement les recrutables de ce type sans que les entreprises qui les publient aient cherché à prospecter sur le marché du travail local.
Un ancien législateur spécialisé dans les questions d’immigration, Bruce Morrison, prône pour sa part un accès plus facile aux fameuses green cards, de préférence aux H1-B, pour pourvoir les postes vacants, afin d’éviter que les employés étrangers bénéficiant de ces visas temporaires ne soient des « domestiques en contrat d’apprentissage ». Ces visas ne permettent pas, en effet, de changer d’employeur, ce qui restreint considérablement la marge de manœuvre et de négociation de leurs porteurs. Un représentant de Microsoft confirme que sa société préférerait la solution des green cards, mais se concentre pour l’heure sur ce qui est politiquement faisable, à savoir obtenir davantage de visas H1-B. Il ajoute que les taxes levées sur ces visas vont à des fonds qui favorisent les formations scientifiques, d’ingénierie et de mathématiques dans les écoles américaines.
Sur le blog Slashdot, où continuent de se retrouver les nerds et geeks de tout poil, y compris des programmeurs aguerris, l’enquête de Slashdot ne surprend guère. Certains affirment que les entreprises technologiques veulent à tout prix trouver des employés qui ne nécessitent aucune formation, c’est-à-dire maîtrisant déjà le langage de programmation du moment, quitte à ruser pour donner l’impression qu’ils ont vraiment cherché à recruter des programmeurs sur le marché domestique. D’autres estiment que c’est la spirale incontrôlée des salaires des CEO qui forcent les entreprises à rogner par tous les moyens sur les salaires des employés de base. « Du point de vue de beaucoup de CEO, les travailleurs américains sont surpayés, sous-exploités, et trop gâtés en avantages », lance l’un des commentateurs sur Slashdot.