Sur le réseau de partage ThePirateBay, les internautes échangent des fichiers digitaux : musique, films, logiciels, livres, bandes dessinées etc. Que signifie donc la catégorie « Physibles », créée en janvier dernier, que le site affiche suivie d’un point d’exclamation et d’un point d’interrogation ?
Certes, ce sont également des fichiers digitaux qui y sont proposés. Mais à la différence des autres sections, celle-ci est réservée aux fichiers qui permettent de reproduire, en tout ou en partie, un objet physique à l’aide d’une imprimante 3D. Au moment de lancer Physibles, The PirateBay expliquait : « Nous pensons que la prochaine étape en matière de copie consistera à passer du digital au physique. Ce seront des objets physiques. Ou, comme nous les appelons, les Physibles. Des objets de données qui sont en mesure (faisables) de devenir physiques. (…) Nous pensons que dans un avenir proche, vous imprimerez les pièces de rechange pour votre véhicule. Dans 20 ans, vous téléchargerez vos baskets ».
Aujourd’hui, on trouve par exemple dans Physibles de quoi produire un violon quasi rudimentaire, dont le manche doit il est vrai être produit à part en… carton. Il s’agit davantage d’une prouesse technologique que d’un haut fait de lutherie, mais l’instrument ainsi bricolé à distance est, paraît-il, un tant soit peu jouable.
D’autres avaient déjà pensé à créer une plateforme pour les fichiers d’objets destinés à une impression en 3D. Sur Thingiverse, qui existe depuis quelques années, les designers proposent de tels objets, mais il s’agit d’une plateforme respectueuse des droits de propriété intellectuelle, et les objets sont proposés suivant les conditions déterminées par leurs concepteurs. Sur la plateforme pirate, ces droits sont résolument ignorés. Un contributeur a ainsi publié sur ThePirateBay des objets proposés sur Thingiverse, en précisant qu’il était impossible de savoir combien de temps ils y resteraient disponibles.
Mais déjà, d’autres explorent des implications plus politiques de cette nouvelle frontière. Ars Technica signale l’existence d’un certain Cody Wilson qui se lance sur ce créneau en proposant en téléchargement des chargeurs destinés aux fusils d’assaut et capables d’emmagasiner plus de 600 cartouches. Précisément, ces chargeurs que certains législateurs aimeraient interdire au titre de la prévention des massacres aux armes semi-automatiques comme celui de Sandy Hook qui endeuillent régulièrement les États-Unis.
S’engageant clairement dans une démarche politique, le Texan Cody Wilson, manufacteur d’armes qui est également étudiant en droit et se définit lui-même comme un « crypto-anarchiste » inspiré de Pierre-Joseph Proudon, a annoncé cette semaine la création d’une organisation sans but lucratif, Defense Distributed, qui se propose de diffuser une arme de poing « imprimable », ainsi qu’une entreprise, DefCAD, enregistrée au Delaware, qui entend devenir un concurrent de la section Physibles de ThePirateBay. Et s’oppose à l’approche de Thingiverse, qui en décembre dernier, a retiré de son site les designs de pièces de rechange pour armes de poing.
Sur DefCAD, « il n’y aura pas de retrait, jamais », affirme crânement Cody Wilson. Pour ce faire, il est prêt, s’il le faut, à migrer son serveur vers d’autres pays, mentionnant la Slovaquie, la Russie et Singapour comme possibles destinations et assurant qu’il est « prêt à ramper jusqu’à n’importe quel coin de la terre pour continuer » ce projet. En plus de la publicité, DefCAD espère gagner de l’argent en proposant que l’objet sélectionné soit transféré à un imprimeur 3D local. Se positionnant résolument dans le débat politique américain, marqué par un sentiment de culpabilité collective à l’égard du sort peu enviable des vétérans des aventures militaires moyen-orientales de ces dernières années, Cody Wilson promet aussi d’arrondir à l’unité supérieure les prix d’objets achetés par le biais de son moteur de recherche et d’utiliser les sommes ainsi collectées pour alimenter un fonds de soutien aux vétérans.