Les défenseurs des petits propriétaires espagnols surendettés sont soulagés. La Cour de justice de l’UE a, le 14 mars, condamné la législation espagnole qui empêche un tribunal de reconnaitre des clauses abusives d’un contrat de prêt et de bloquer une procédure d’exécution hypothécaire et une expulsion d’un propriétaire de son habitation (Affaire C-415/11). C’est une bataille qu’ils mènent depuis plus de quatre ans pour obtenir une suppression de ce dispositif responsable de l’expulsion irréversible de milliers de familles espagnoles de leur domicile, obligées de surcroit de rembourser leurs prêts résiduels et des intérêts de retard. La Cour leur a donné raison en déclarant cette impossibilité de suspendre la procédure d’exécution et d’expulsion incompatible avec la directive de 1993 sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
Mohamed Aziz, ressortissant marocain travaillant en Espagne, a défendu son cas et a tenté de récupérer son bien devant la justice espagnole qui a saisi la Cour de justice sur la compatibilité avec la directive de cette législation. Il avait souscrit en juillet 2007, auprès de la banque Catalunyacaixa, un contrat de prêt immobilier de 138 000 euros assorti d’une garantie hypothécaire sur son domicile familial. Confronté à des difficultés financières, il a cessé de payer ses mensualités à partir de juin 2008. La banque a ouvert une procédure d’exécution activant des clauses lui donnant la possibilité de récupérer auprès de l’emprunteur la dette résiduelle et des intérêts de retard annuels de 18,75 pour cent applicables aux montants non réglés à l’échéance. Elle a aussi obtenu l’exécution hypothécaire qui lui a conféré la propriété du bien à cinquante pour cent de sa valeur, puis lui a permis, en janvier 2011, de faire expulsé Monsieur Aziz.
Peu avant, ce dernier avait introduit une demande visant à faire annuler une clause du contrat de prêt hypothécaire en raison de son caractère abusif, et, par conséquent, à faire annuler la procédure d’exécution hypothécaire. Mais le Tribunal n’a pu, en vertu de la loi espagnole, suspendre la procédure d’exécution hypothécaire. Ce qui, a jugé la cour de justice, est contraire à l’effectivité de la protection du consommateur voulue par la directive. Une législation nationale ne doit pas restreindre en pratique ou compliquer l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union, rappelle t-elle. Cette impossibilité de blocage de l’exécution hypothécaire demandée par la banque rend impossible la récupération du bien immobilier par son propriétaire, malgré l’illégalité avérée de clauses du contrat de prêt. Le consommateur espagnol dans une telle situation se voit au mieux assuré d’une protection a posteriori, réduite à une indemnité. « Ce qui ne constitue pas un moyen adéquat ou efficace pour faire cesser l’utilisation de ces clauses », estiment les juges.
Pour évaluer le caractère abusif de ces clauses, ajoutent-ils, la juridiction espagnole prendra en compte le « déséquilibre significatif » imposé au consommateur face à la banque et ses moyens d’action pour s’opposer à ces dispositions. Ainsi, elle comparera le taux d’intérêts de retard de 18,75 pour cent au taux d’intérêt légal pour vérifier s’il garantit la réalisation des objectifs poursuivis en Espagne par l’intérêt de retard ou s’il ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire. Elle aura aussi à examiner si la clause permettant à la banque d’exiger la totalité du prêt après un seul défaut de paiement dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation clé du contrat et si cette inexécution revêt un caractère suffisamment grave par rapport à la durée et au montant du prêt. Enfin le juge national sera tenu d’apprécier si la clause sur la liquidation unilatérale de la dette impayée donnant à la banque la possibilité d’engager la procédure d’exécution hypothécaire ne limite pas le consommateur dans ses moyens d’accès à la justice et dans l’exercice de ses droits de la défense.
Le ministre de la Justice Alberto Ruiz Gallardon s’est aussitôt engagé à corriger « tous les aspects que la Cour a déclarée contraire à la législation européenne ». Interrogée par la presse, la Commission a pris note de l’arrêt, mais elle a évité d’expliquer pourquoi elle n’avait pas engagé de poursuites contre l’Espagne.
En Espagne, le sujet est très sensible, plusieurs suicides de propriétaires expulsés ont été médiatisés et la pression sociale est forte pour supprimer ces clauses abusives. Une initiative législative populaire sur la question a recueilli 1,4 million de signatures. Elle réclame l’extinction de la dette en cas d’expulsion du domicile principal, un moratoire sur les expulsions du domicile principal et la transformation en logements sociaux de tous les logements vides appartenant à des banques. Le Parlement s’est donc saisi de cette question, mais le gouvernement tempère car il redoute que la possibilité de supprimer la dette lors d’une saisie hypothécaire ne fasse exploser le taux de créances douteuses des banques, alors qu’il est déjà préoccupant.