Deux parents vivent de dimanche en dimanche, jour redouté où ils se rendront une fois de plus chez Marie, la meilleure amie de la jeune maman (Anne Brione), à qui ils ont confié leur fille de trois ans pour la protéger d’une maladie contagieuse contractée par leur fille aînée, mais qui ne semble pas vouloir leur rendre leur enfant. Voilà neuf mois que chaque semaine, les parents se préparent à aller chercher leur petite, mais ne parviennent pas à la récupérer. Chaque dimanche, ils rentrent de nouveaux seuls et désemparés, pour faire face à une nouvelle semaine d’angoisse, d’attente et de questionnement.
L’amie de la famille, âme sœur de la jeune maman, qui l’a soutenue et épaulée à travers une rude jeunesse, ne devait être qu’une nounou provisoire. Tout se dérègle quand les parents doivent constater que cette dernière s’est trop attachée à la petite fille et a fini par quasiment s’approprier l’enfant. Chaque dimanche, les parents dépités laissent la petite fille une semaine de plus à sa gardienne fortunée, car elle lui a promis des cours de musique, une excursion, une fête dans leur grande propriété, choses que les parents ne peuvent pas lui offrir, mais dont ils ne veulent pas priver leur enfant. Prétexte ou vrai désarroi ? La petite fille a-t-elle été enlevée ou abandonnée ?
Comme dans un polar hebdomadaire, l’histoire croît en suspens, l’énigme autour de l’absence de l’enfant se resserre, des questions sur la sincérité des parents émergent. Les dimanches ressemblent de plus en plus à des échéances et l’angoisse des jeunes parents monte de jour en jour. Ils vivent côte à côte comme des prévenus qui attendent le jour du jugement. Les deux acteurs portent à eux seuls cette lourde ambiance, aidés uniquement par un écran qui projette différents paysages et messages écrits. Joël Delsaut brille en jeune père désespéré, qui finit par accuser sa femme et faillit céder à la violence. Anne Brione incarne une jeune femme torturée par la culpabilité, qui se sent constamment en faute et inférieure face à son amie d’enfance.
Les acteurs se déchirent, crient, pleurent, mais les regards et les silences prolongés entre eux en disent autant. Le langage de Denise Bonal est particulier, poétique et romanesque, mais aussi brutal et coloré.
L’intrigue se resserre peu à peu et l’écriture de Bonal attire progressivement le spectateur dans ses filets. Après un début quelque peu flou, pendant lequel on peut se demander pourquoi ses jeunes parents ne vont pas simplement chercher leur enfant pour remédier à leur détresse, les caractères très complexes des personnages se révèlent doucement. Au fur et à mesure des disputes et des reproches qu’ils se font l’un l’autre, des révélations surgissent du passé et viennent étoffer l’histoire de deux jeunes parents que l’on croyait simplement dépassés par les responsabilités parentales.
La pièce va plus loin que l’intrigue apparente : la détresse du jeune couple, qui veut le meilleur pour leur enfant, est couplée aux remords qu’ils éprouvent en ayant abandonné leur fille à quelqu’un d’autre. Ils sont forcés d’admettre à contrecœur qu’il y a une raison au fait qu’ils ne se battent pas davantage. Pour quelle raison ne parviennent-ils pas à faire face à Marie dans sa grande maison luxueuse ? La problématique de la place de l’enfant dans un jeune couple est traitée de manière subtile et avec tendresse. Où est la frontière entre l’abandon de soi-même – le sacrifice de soi au profit du bonheur de son enfant – et la tentation de confier son enfant à d’autres et de fuir les responsabilités. La mise en scène de Frédéric Frenay avec deux acteurs seulement est courageuse et épurée, différente et résolument osée.