All Things Move Towards Their End est un titre apocalyptique, peut-être nostalgique mais en tout cas sincère pour la quatrième exposition de David Russon à la galerie Nosbaum [&] Reding. Ce qu’il y expose ne semble au premier abord pouvoir rivaliser avec les lithographies de David Lynch qui sont montrées dans la même galerie, une cinquantaine de mètres plus haut. Le nom de la star américaine aveugle, de par sa surmédiatisation, et plonge le jeune protégé, né à La Haye et travaillant à Bruxelles, dans l’ombre.
Une place qui lui semble convenir puisqu’elle constitue l’essence de son œuvre. En perçant le mystère issu du mélange alchimique qui existe entre photographie et peinture chez Russon, un fil rouge invisible relie les œuvres entre elles. Le point de départ est souvent une image issue du monde médiatique, qui est tirée dans la sphère de l’anonymat par le biais de la peinture. Si l’image indicielle (une photographie, un fragment de pellicule) est le matériau de base à partir duquel Russon travaille, c’est pour en extraire l’essence en altérant légèrement leur sens premier, par le biais d’un recadrage ou d’une couche de peinture. En travaillant l’image d’archive de cette manière, le peintre fait un éloge du contre-jour et plonge non seulement les plus grandes stars dans l’anonymat mais traite ses décors de la même manière pour chanter d’une manière résolument différente des peintres de l’âge d’or flamand, comme l’a déjà montré Tzvetan Todorov dans un de ces ouvrages, une ode au quotidien.
Que ce quotidien soit triste, macabre et frôle ce même sentiment d’inquiétante étrangeté qu’on peut déceler dans les toiles de Lynch, est peut-être la raison du galeriste d’exposer ces deux artistes ensemble. Si la photo de Patricia Arquette, un verre de whiskey à la main, issue de Lost Highway de Lynch, semble être la seule dans toute l’exposition à ne pas tomber dans l’anonymat, il faut, à seconde vue, se méfier aussi de cette conception, puisqu’il s’agit d’une actrice qui campe un personnage, qui à son tour joue dans le film deux rôles différents, et que le spectateur ne saura jamais quelle perruque lui convient le mieux au final.
Les autres toiles semblent toutes dire que ce que les personnages peints voient d’inquiétant, de fascinant et de sensationnel, le spectateur ne le verra jamais : ils nous tournent le dos et contemplent un lointain invisible à travers des jumelles dans Everything You Can Think of Is True (2009) et Rooflanders (2010), ils nous regardent ou se regardent en se cachant derrière des lunettes de soleil noires dans No past (2010) et d’autres toiles appelées Untitled. Même les titres de certaines toiles ne viennent pas en aide pour déchiffrer le mystère.
Par ce biais, le peintre suspend le sens de la toile et suscite une réflexion sur la place du spectateur dans le cirque médiatique d’aujourd’hui ou tout un chacun est amené à consommer passivement bon nombre d’images quotidiennement. En s’opposant à ces images médiatiques fast food, il nous fait prendre conscience de notre regard et le réactive avec comme finalité de faire allusion à une monstruosité, une horreur latente qui se situe dans un hors-champ pictural qui a autant d’importance dans la peinture de Russon que celui dont parle Bazin dans le septième art. L’horreur est produite également par les champs monochromes obtenus grâce à l’acrylique, cette peinture synthétique issue du monde industriel de l’automobile et du bâtiment que De Kooning, Warhol et Rothko ont déjà vénéré à l’époque. Si, avec la peinture à l’huile, un jeu avec l’empâtement et par conséquent une superposition de couches est possible qui aurait comme équivalent musical le violon, il faut s’imaginer l’acrylique comme étant proche de la percussion. Des aplats de couleur bruts confondent silhouettes et bâtiments pour véhiculer la froideur du monde contemporain dans lequel nous vivons.
Dans Everything You Can Think of Is True, le peintre fait allusion au dernier étage d’un des Twin Towers, lieu qui n’existe plus que sur des photographies objectives et qui, par le biais de la peinture retrouve ici sa dimension mystique de souvenir subjectif. Avec la toile monumentale All The Things Move Towards Their End, un hall d’aéroport impersonnel et maussade est dépeint. Ces lieux transitoires évoquent à cause de leur taille gigantesque la petitesse et l’insignifiance de l’individu qui est plongé dans une architecture qui le dépasse. À travers l’abstraction figurative, Russon tend un miroir à l’homme contemporain et l’interroge sur la qualité de vie qui semble s’être perdue en cours de route. En tout cas le quotidien flamand du XVIIe siècle inspire plus confiance de par sa simplicité que celui que nous sommes en train de traverser.